C’était écrit

Chapitre 33

 

Après son entrevue avec lord Harry, Montjoieattendit en vain pendant quarante-huit heures une lettre d’Iris enréponse à celle qu’il lui avait adressée. M. Vimpany aurait-ildonc été capable de détenir la lettre confiée à sessoins ?

Au bout de trois jours, Hugues écrivit pourdemander explication de la chose.

En retournant le pli en question à Montjoie,le docteur se plaignait dans sa réponse qu’on ne l’eût pas traitéavec assez d’égards. Au surplus, miss Henley s’était dispensée delui donner sa nouvelle adresse à Londres et, d’autre part, lordHarry l’avait quitté inopinément, laissant seulement pour lui,quelques mots d’excuses banales ; il ajoutait que seshonoraires comme médecin avaient été payés, mais, en réalité,l’amitié n’a-t-elle pas aussi des droits à faire valoir ?« Lorsqu’un homme a été reçu chez vous à titre d’ami, peut-ildonc vous traiter comme un étranger ? Si vous m’en croyez, lemieux c’est de ne plus nous occuper ni d’elle ni de lui. »

Montjoie jeta la lettre au panier. Il sedisait que sa seule chance d’empêcher le mariage d’Iris était decommuniquer avec elle ; le pauvre garçon craignait qu’elle nefût aussi totalement perdue pour lui que si elle eût quitté cemonde à jamais ! Sans doute, il serait parvenu à découvrir laretraite de miss Henley, en observant les mouvements de lord Harry,mais, hélas ! il avait disparu de l’horizon sans laisser detrace. Au total, les heures s’égrenaient comme un collier de perlesprécieuses et Hugues ne savait plus, en réalité, à quel saint sevouer. Torturé d’inquiétude, malheureux, découragé, il se dit qu’ilva du même coup tout abandonner et se sent attiré versl’Écosse ; tantôt, il redoute de recevoir une lettre d’Iris,tantôt il se sent froissé jusqu’au fond de l’âme de son silence.Était-elle près ou loin ? en Angleterre ou sur lecontinent ? Mystère !

Enfin, après plusieurs jours passés dans unepénible attente, Montjoie reçoit une lettre d’une écriture à luiinconnue et portant le timbre de Paris.

La signature lui révéla que son correspondantétait lord Harry ! Son premier mouvement était de jeter lalettre au feu ; or, pourrait-il endurer le martyre d’apprendrele mariage d’Iris de la main même de son mari ? Jamais !jamais ! Malgré tout, il brise nerveusement le cachet, etparcourt la missive signée de lord Harry ; celui-ci luiexprimait, dans les termes de la plus scrupuleuse politesse, sesregrets de n’avoir pu prendre congé de lui avant de quitterl’Angleterre. Mais à la suite de la conversation qu’ils avaient euechez M. Vimpany, son devoir est de l’informer que vu lesconditions où il avait pu placer l’aléa de sa propre destinée, ilavait réussi à mettre sa femme en meilleure situation, en ce quiconcernait son avenir. C’est ce qu’il a stipulé au cas où elle luisurvivrait. Il terminait sa lettre en disant, que lady Harry nevoulait pas être oubliée près de son ancien et digne ami ; illui envoyait pour sa part l’assurance de ses sentimentsdévoués.

L’entête de la lettre ne portait pour toutrenseignement que le mot : Paris. Il était clair qu’àl’avenir, toute communication écrite ou verbale serait supprimée.L’instant d’après, Hugues brûlait la lettre ! Sa surprise futgrande quand, à deux jours de là, il en reçut une d’Iris. Elleregrettait d’avoir quitté l’Angleterre si précipitamment, ajoutantqu’elle ne devait, cependant, s’en prendre qu’à elle-même.

Elle avait compris, d’une parole échappée àHarry au cours de la conversation, qu’il avait tout à craindre decertains conspirateurs politiques, avec lesquels il s’étaitcompromis. À force de prières, elle avait obtenu des aveux completsde son mari. Jugeant enfin, qu’il n’y avait de sécurité pour euxque dans la fuite, ils avaient mis le cap sur Paris. D’ailleurs,lord Harry avait des amis, dont l’influence pourrait être fortutile à ses intérêts pécuniaires.

Iris terminait sa lettre par des remerciementschaleureux, en souvenir des preuves d’affection qu’il lui avaitdonnées. Bref, elle exprimait l’espoir que tous les deux pourraients’écrire de temps en temps. Impossible dans les circonstancesprésentes, d’anticiper sur le plaisir de recevoir sa visite, maiselle espérait qu’il n’aurait pas d’objection à lui adresser deslettres poste restante.

Le post-scriptum concernait M. Vimpany.Elle priait Hugues de se dispenser de répondre aux questions quecet intrigant lui poserait au sujet de lord Harry et d’elle-même. Àcoup sûr, elle avait été reconnaissante des soins que le docteuravait donnés à Rhoda Benett ; mais, depuis lors, sa conduiteavec sa femme et les opinions violentes qu’il avait expriméesdevant lord Harry, avaient modifié son opinion surM. Vimpany ; elle ajoutait que si elle conservait lamoindre influence sur Hugues, elle le déciderait à rompre avec ledocteur.

Cette lettre n’eut d’autre effet que d’irriterMontjoie encore davantage, à la pensée du mariage d’Iris avec lordHarry.

En cet état de choses, il soupçonna à tort ouà raison lady Harry d’avoir écrit cette lettre sous la dictée deson mari : certaines phrases, suivant lui, visaientparticulièrement l’ami jaloux de sa femme. Hugues résolut, enconséquence, de ne répondre à Iris, que lorsqu’ils pourraientcorrespondre librement ensemble sans le contrôle de lord Harry.

Il eut, derechef, une velléité d’allers’enfouir en Écosse, pour surveiller ses maçons : mais laperspective de vivre sans voisins, sans amis, le fit renoncer à ceprojet champêtre. Il se décida, au contraire, à chercher dans letourbillon mondain de Londres un dérivatif aux anxiétés quil’assiégeaient, ce qu’il fit.

Reçu à bras ouverts par ses amis etconnaissances, il allait tous les soirs dîner en ville, auspectacle, au bal : les mères ayant des nièces à marier, lechoyaient à l’envi.

Il retourna aussi à son club. Y trouvait-ildonc quelque distraction, quelque plaisir ou quelquesoulagement ? aucun ! Il jouait simplement un rôle etcomprenait qu’il est malaisé de sauver les apparences et de sedonner le change à soi-même. Bref, après un intervalle très court,quelque chose comme le passage d’un météore, il renonça au monde.Encore qu’il se fût promis de ne pas répondre à Iris, la meilleuresoirée qu’il avait passée à Londres fut celle où, changeant d’avis,il lui écrivit une longue lettre.

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