C’était écrit

Chapitre 45

 

« Suppliez lady Harry de ne pas m’écrire,chose que je tremble qu’elle ne fasse, en apprenant qu’on a toutespoir de sauver M. Montjoie. D’où qu’il vienne, touttémoignage de reconnaissance me gênerait. Mon unique but, enassumant le rôle de garde-malade, est de tâcher d’expier ma viepassée. Je fais les vœux les plus ardents pour le bonheur d’Iris,que cette assurance lui suffise, jusqu’au jour où je pourrai luiécrire. »

« Voici en quels termes, femme modèle dedévouement et de bonté, on m’a transmis votre recommandation !Croyez que je ressens pour vous autant d’admiration que derespect ; vos désirs sont pour moi des ordres, mais, de fait,le seul soulagement que je trouve aux craintes que m’inspirel’avenir, c’est de les confier à une oreille sympathique.

« Du moment que je me bornerai à neparler que de moi, non seulement mes lettres n’aggraveront pas masituation, mais elles l’adouciront beaucoup.

« J’espère que les jours charmants quevous avez passés avec nous à Paris au commencement de notremariage, ne sont point sortis de votre souvenir. Vous rappelez-vousqu’un soir où nous causions ensemble de divers sujets, vous m’avezrecommandé d’éviter tout ce qui pourrait exciter la jalousie de monmari. Depuis lors, vos appréhensions, hélas ! ne se sont quetrop justifiées ; vous ne pouvez savoir combien il m’estdifficile de conserver mon calme. Il est si pénible à une femme quiaime réellement son mari d’arriver à comprendre les luttes, lestristesses et les doutes par lesquels il passe avant de douterd’elle ! J’ai découvert que la jalousie a des phasesdiverses : laissez-moi vous expliquer ma pensée. Pendant lelaps de temps que la vie de notre cher Hugues a été menacée, monmari paraissait absorbé et taciturne ; le jour où je lui aidit qu’il était hors de danger, j’ai été frappée du changement quis’opérait chez Harry. Peut-être avait-il fait la même observation àmon sujet ; toujours est-il que ses regards exprimaient unesympathie si tendre en me regardant, que ses paroles témoignaientpour le convalescent un intérêt si affectueux, que je ne pusm’empêcher de lui en exprimer ma reconnaissance par une pluie debaisers. Alors, son front se rembrunit, son regard lance la foudre,sa physionomie contractée exprime le soupçon ; on eût dit quece témoignage de tendresse lui était suspect. Ah ! que leshommes sont d’incompréhensibles créatures ! Les romanciersnous les montrent parfois, comme étant dominés par les femmes…Ah ! que ne suis-je une de ces charmeuses ? Criblés dedettes et dans la dèche comme nous le sommes, je suistorturée d’inquiétudes ;… j’avais espéré que Harrys’épancherait avec moi ; or il persiste à se renfermer dans unimpénétrable silence. S’abstient-il de ne me rien dire, parce qu’ila d’autres préoccupations ? S’abstient-il de m’en parler parceque c’est pour lui un sujet d’humiliation ? Hier, n’y tenantplus, je lui ai dit : « Mon cher Harry, nos embarraspécuniaires s’aggravent de jour en jour ; les brèchesdeviennent terriblement profondes dans notre budget ;avez-vous cherché un moyen de les réparer ? – Le payement desdettes, m’a-t-il répondu avec désinvolture, est un problème que jesuis trop pauvre pour résoudre. L’autre jour, pourtant, j’ai cru enavoir trouvé la solution. Eh bien ! je me suis dit que lachose serait facile si l’on pouvait faire sortir de l’or ducoffre-fort de ses amis riches. À propos, comment va votre amimalade, avez-vous reçu de ses nouvelles ? – Sa convalescences’accentue de jour en jour ? – D’où je conclus, qu’il a déjàune velléité de revenir à Paris et que la réalisation de ce plann’est qu’une question de jours. C’est un aimable garçon ; jeme demande s’il nous viendra voir ? »

« Ces paroles me parurent tellementfabuleuses dans sa bouche, que je me trouvai dans l’impossibilitéde formuler une réponse.

« Ma stupéfaction parut le divertir.« J’aurais dû vous raconter, reprit-il avec entrain, queMontjoie et moi, nous nous sommes pris de bec un soir, pendant quevous étiez dans votre chambre. Je ne lui ai pas mâché les mots, jelui en ai même lancé de si durs que, après avoir retrouvé mesesprits, j’ai cru devoir lui faire mes excuses ; l’aménité, labonne grâce avec lesquelles il les a reçues, a produit sur moi lameilleure impression. » Comment se figurer, après cela, qu’ilétait jaloux de celui-là même dont il parlait en de telstermes !

« Il est cependant deux manièresd’expliquer la chose : d’abord, par la sympathie qu’éveillentchez tout le monde les dons physiques et intellectuels que Hugues areçus en partage ; ensuite, par la variété des impressions demon mari ; j’espère que telle sera aussi votre manière devoir. En tout cas, veuillez avoir la bonté de faire lire à Huguesle passage suivant :

« Encouragée tout naturellement parl’espoir d’une réconciliation entre Hugues et Harry, je saisis avecempressement l’occasion de mettre la conversation sur notre ami.Après la contrainte que je me suis si longtemps imposée, il m’étaitdoux d’en parler librement, mais une circonstance fâcheuse ainterrompu notre entretien. On nous apportait une facture àsolder ; comme on en réclamait immédiatement le montant, ledernier billet de banque de Harry a filé de cette façon !« Juste ciel ! qu’allons-nous devenir ! »m’écriai-je, dès que le fâcheux eut refermé la porte. Lord Harry,après avoir allumé un cigare, pousse des éclats de rirediaboliques. « Ah ! l’argent est un bon serviteur, maisun méchant maître ! Savez-vous, Iris, ce que c’est de faire unbillet ? – Mon père me l’a appris, répondis-je. – Votre père,répliqua-t-il, payait comptant ? – Comme tout le monde,n’est-il pas vrai ? » repartis-je naïvement, sur quoi ils’esclaffa de rire, puis il me dit d’envoyer Fanny chercher unefeuille de papier timbré. Dès qu’elle se fut acquittée de cettecommission, Harry me pria de passer avec lui dans le petit salon decorrespondance. « Eh bien ! ma chère, me dit-il, vousallez voir combien c’est facile de battre monnaie avec ce chiffonde papier. »

Note ajoutée parMme Vimpany : « Il faudrait avoir saraison tout à fait en désordre pour montrer à Hugues la lettred’Iris. Pauvre femme ! quelle illusion elle se fait !Ah ! quel terrible et fatal mariage ! »

« Je regardai par-dessus son épaule. Ils’agissait ni plus ni moins de 10 000 francs ! – « Ypensez-vous ! m’écriai-je. Comment ferez-vous honneur à votresignature ? – C’est bien simple ; d’ici là, leContinental Herald doublera son tirage. Des affairesmagnifiques et d’énormes dividendes me mettront en état de payermes dettes. »

« Cela dit, nous allâmes prendre lechemin de fer de Ceinture et mon mari parvint à échanger sa feuillede papier timbré contre des rouleaux d’or.

« Dès que son porte-monnaie fut bienbourré de valeurs, sa gaieté ne connut plus de bornes, en sortequ’après tant de semaines d’anxiétés, cet après-midi était, enréalité, comme une vision du Paradis ! Mais ma félicité,hélas ! ne fut pas de longue durée. Le lendemain je vis venirà moi Fanny Mire, une lettre à la main ; elle la tenait defaçon à laisser voir la suscription. J’avisai qu’elle était del’écriture de lord Harry et adressée au docteur Vimpany à sonoffice de publicité, à Londres.

« Ensuite, elle retournal’enveloppe. « Regardez ceci », reprit-elle. Un largecachet y était apposé : deux initiales, H. P. (Harry Porland)surmontées d’une étoile – son heureuse étoile ! comme il avaiteu l’amabilité de le dire, le jour de notre mariage. Soudain, cesouvenir me traversa l’esprit et Fanny Mire fit la remarque que jeconsidérais le cachet avec mélancolie, mais elle se méprittotalement sur le sens de mes pensées. « Milady n’a qu’àparler et je brise le cachet », fit-elle. Je la regardai droitet je ne remarquai chez elle aucune confusion, elle ajouta :« Rien n’est plus facile que de refaire le cachet avec un peude cire ; M. Vimpany sera probablement trop gris pours’en apercevoir. – Savez-vous, Fanny, que vous me faites là unetrès mauvaise proposition. – Du moment qu’il s’agit de rendreservice à milady, je ne recule devant rien. De grâce, milady,ordonnez-moi d’ouvrir cette lettre. – D’abord, comment est-elletombée entre vos mains, Fanny ? – Mon maître m’a donné l’ordrede la mettre à la poste. – Alors, faites ce qu’il vous a dit. – Ilva de soi que lorsque lord Harry écrit une lettre cachetée audocteur, milady peut en connaître le contenu. Je vois là une armedirigée contre la tranquillité de milady ;… la chambre àdonner étant inoccupée, il se peut que le docteur vienne s’yinstaller ; milady le souhaiterait-elle ? Non, non, je nedois pas mettre cette lettre à la poste, avant de l’avoir ouverte.– Avant tout, Fanny, vous devez obéir aux ordres que vous avezreçus. »

« Essayant alors d’un autre moyen depersuasion, elle reprit : « Si le docteur vients’installer ici, milady voudra-t-elle bien me permettre de laquitter, dès que le moment me semblera propice ? – Vraiment,Fanny, je ne vous reconnais plus ! – Eh bien, je n’hésite plusà demander à milady de prendre une autre femme de chambre. – Commebon vous semblera », répondis-je, les nerfs montés par sesinsinuations alarmantes. Elle reprit : « La vérité, c’estque je ne quitterai milady qu’à ma mort ! Mais, j’ajoute que,pour le moment, ses intérêts exigent que je la quitte pendant uncertain temps ; je dois espionner le docteur. –Pourquoi ? – Parce qu’il est votre ennemi. – Qu’ai-je àcraindre de lui ? – Loin de moi l’idée d’énumérer à milady lesméfaits dont il peut se rendre coupable ; je me bornerai àdire à milady que je ferai tout au monde pour combattre sesdesseins. » D’un ton très respectueux, elle ajouta :« Je vais mettre la lettre de milord à la poste ».

« Que penser de Fanny Mire ?Fallait-il repousser ses offres de dévouement, comme je m’étaisrefusée à décacheter la lettre ? J’en étais incapable. Troptouchée de ses paroles, je ne pouvais la mortifier par un nouveaurefus. En somme, son antipathie contre le docteur n’est que tropjustifiée et je sais combien il m’est précieux d’avoir pour alliéeune femme énergique et dévouée. J’espère, du moins, que si lemalheur veut que M. Vimpany redevienne notre hôte, je recevraiune lettre de votre propre main. Votre pauvre amie a tant besoin devos conseils ! Ne m’oubliez pas, je vous en conjure, près devotre malade ; faites-vous l’écho de ce que je vous dis.Surtout rappelez-vous que je serais inconsolable si j’apprenais,par exemple, que des préoccupations à mon sujet entravent saguérison. Cachez-lui, je vous en prie, les points noirs qui sont àl’horizon. Il est sûr que si j’avais plus d’indifférence pourHarry, je serais moins à plaindre !

« Il me semble que vous me comprendrez endépit de l’ambiguïté de cette dernière phrase.

« Votre amie dévouée.

« IRIS. »

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer