C’était écrit

Chapitre 69

 

L’avertissement que Fanny Mire avaitfait insérer dans le Continental Herald, finit par tombersous les yeux d’Iris. Son premier mouvement fut de tancer sacamériste, mais, toute réflexion faite, elle y renonça. Lady Harryavait conscience de s’être rendue coupable d’un acte passible dereprésailles graves. À quoi bon risquer sa sécurité et celle de sonmari, en se mettant à la merci d’une femme, dont la fidélitépourrait ne pas résister au choc d’une remontrance ou d’unfroissement d’amour-propre imaginaire ? La situation de lordHarry était donc cent fois plus à ménager encore !

Elle écrivit à Fanny les lignessuivantes :

« Vous trouverez ci-inclus un billet de250 francs. L’idée m’est venue de faire un voyage pendant lequel,malheureusement, je suis forcée par les circonstances de me priverdes services d’une femme de chambre. Je traverserai certainementBruxelles d’ici quelques mois : si vous désirez me faire unecommunication quelconque, adressez-moi votre lettre poste restante.Bien que je ne puisse vous rappeler près de moi, n’inférez pas dece fait que j’aie oublié vos bons et loyaux services. Prenezpatience. »

« Mon Dieu ! quel tissu demystères ! se dit Fanny après avoir pris connaissance de lalettre qui précède. Si lady Harry est réellement à Londres,pourquoi ne me donne-t-elle pas son adresse ? Si elle est àl’étranger, pourquoi ne pas me le dire ? Il va de soi queFanny n’avait aucun soupçon du motif qui retenait lady Harry àLondres, ni du rôle qu’elle devait jouer dans cet étrange complot.Comme d’habitude, Fanny eut recours àMme Vimpany ; elle lui adressa la lettre delady Harry, avec prière de la communiquer à M. Montjoie et defaire appel à ses conseils ; la réponse ne se fit pasattendre.

« Je m’empresserai de mettreM. Montjoie au courant de la situation, dès que je jugerai lachose opportune. Je n’attends pour cela que le retour complet deses forces ; rappelez-vous le proverbe : qui n’apatience, n’a rien. Surtout tenez-vous en garde contre l’effarementde l’imagination.

« Cependant je ne puis m’empêcher deconvenir que des événements graves se trament dans l’ombre ;j’ai lu et relu votre récit des faits qui se sont passés sous mesyeux. Il me paraît évident que mon mari et votre maître ontcomploté de faire passer lord Harry pour mort ; il ne nousappartient pas de révéler ces machinations infernales.Attendons. »

À trois jours de là, Fanny Mire reçut unenouvelle lettre de Mme Vimpany.

« L’occasion que j’attendais est enfinarrivée. Ce matin, voyant que M. Montjoie était pleind’entrain, je lui ai demandé si je pouvais me hasarder à luicommuniquer une lettre dont le contenu ne laisserait pas del’intéresser vivement. »

« S’agit-il de lady Harry ? m’a-t-ildit.

« – Oui, indirectement, ai-jerépondu.

« – S’agit-il aussi de sonmari ?

« – Non seulement de son mari, mais dumien. »

Après avoir fait une pause, ilreprit :

« Je me suis promis de me désintéresserdes affaires de lady Harry Norland. Désirez-vous encore que jeprenne connaissance de ce pli ?

« – Assurément, répondis-je. Je vousprierai, également, de me dire ce que vous en pensez.

« – Qui l’a écrit ?

« – Fanny Mire.

« – Veuillez considérer, repritM. Montjoie, que si c’est seulement pour me dire que lordHarry est un misérable, c’est du superflu.

« – Il s’agit, repris-je, de préserverlady Harry d’un danger.

« – Alors, donnez-moi ce papier »,fit-il.

Tout d’abord je lui mis sous les yeux unjournal annonçant la mort de lord Harry.

« Est-ce possible ? s’écria-t-iléperdu… Iris est libre !

« – Lisez plutôt », dis-je en luipassant la lettre et en refermant sur moi la porte de lachambre.

« À une demi-heure de là, je revins chezM. Montjoie. Un changement à vue s’était fait en sa personne,il paraissait en proie à la plus violente agitation. Pâle comme unspectre, il s’écria :

« Madame Vimpany, je suis sûr que l’hommeenterré sous le nom de lord Harry n’est autre que l’infortunéDanois, Oxbye, et qu’il a été mis à mort par ces deux monstres.

« – Par mon mari ?questionnai-je.

« – Oui, votre mari. Il est clair quelord Harry avait connaissance du crime, alors même qu’il n’y a pasparticipé. Comprenez-vous la situation ? Mesurez-vous lesconséquences de cet acte criminel, accompli sourdement, à lasape ? Les voilà dans de beaux draps !

« – J’y pense avec terreur jour et nuit,repris-je, mais ce n’est pas à moi cependant d’attacher le grelot.Fanny se gardera de faire des révélations, et sans son témoignagepersonne ne peut découvrir l’horrible vérité. Néanmoins, ils n’ontqu’à se bien tenir !

« – Croyez-vous que lady Harry ait dessoupçons ?

« –Non, lui dis-je, elle était absente aumoment du crime ; rappelez-vous les dates : le mercredi,Fanny a été congédiée ; le jeudi matin, elle s’est introduitesubrepticement dans la maison et a été témoin du meurtre. Ce mêmejeudi, lady Harry prenait le paquebot de Southampton. Lesurlendemain, samedi, Fanny Mire revint au pavillon de Passy ettrouva visage de bois. Les voisins lui racontèrent queM. Oxbye était parti, que lady Harry voyageait enSuisse ;… mieux que personne, elle savait que sa maîtressen’avait point été présente au crime : mais jusqu’à quel pointfallait-il croire à l’hypothèse de la culpabilité de ladyHarry ? »

« Après s’être torturé l’intellectpendant quelque temps, M. Montjoie m’annonça qu’il étaitrésolu à partir pour Londres le soir même ; c’est donc danscette ville, ma chère Fanny, que je termine cette lettre commencéeen Écosse. Venez nous voir à l’hôtel ; vous ne sauriez y êtreplus impatiemment attendue que par votre dévouéserviteur. »

Enfin, il y avait un homme dans les conseilsduquel on pouvait avoir confiance ! Pour la première fois,Fanny remercie Dieu d’avoir créé Adam ! Même aux yeux de lafemme la moins bien disposée en faveur du sexe fort, il est descirconstances où elle est forcée d’admettre que l’homme a dubon.

Montjoie, dès qu’il se trouva en présence deFanny, s’écria :

« À Dieu ne plaise ! que je mette endoute votre véracité ; je tiens pour certains tous les détailsde votre récit.

– Vous ne vous trompez pas,monsieur ; c’est l’exacte vérité. Je n’ai rien amplifié, bienque je fusse tentée de noircir le docteur.

– Comment, ciel ! auriez-vous puajouter quelque chose à la réalité ? c’est le plus abominablecrime qu’on ait jamais commis. Il est une chose, toutefois, àlaquelle je ne comprends rien, c’est à la présence de lord Harryaprès la perpétration du meurtre,… a-t-il vu le docteur luiadministrer le contenu de la fiole,… qu’a-t-il dit ?

– Il est devenu hâve et a tremblé lorsquele docteur l’a prévenu que le Danois passerait de vie à trépas cejour-là ou le lendemain. Il avait l’air d’un déterré pendant queM. Vimpany photographiait sa victime ;… m’est avis, quelord Harry savait tout, mais qu’au moment de mettre le planinfernal du docteur à exécution, il a eu peur, et si cela n’avaitdépendu que de lui, Oxbye serait encore de ce monde.

– De tout cela, il appert cependant,qu’il a laissé faire. Pour le moment, Fanny, votre devoir est derester muette comme la tombe. Gardez-vous de causer de cetévénement avec Mme Vimpany, les murs peuvent avoirdes oreilles. Pour moi, je vais faire des démarches près desCompagnies d’assurances ; l’intérêt de lady Harry exige quej’agisse ouvertement : m’enquérir de son adresse est unprétexte tout trouvé. »

Quand des banques, des Compagniesd’assurances, des notaires, sont intéressés dans une affaire, il nefaut jamais désespérer de rien. Effectivement, ce fut l’avoué quidécouvrit le pot aux roses !

Par lui, Hugues Montjoie apprit que lady Harryétait restée deux mois à Londres ; après quoi, elle avait eul’idée d’aller faire un tour en Suisse. Dès que sa cliente luiaurait envoyé son adresse, il lui ferait parvenir les lettres donton le chargerait pour elle.

« Il est clair que lady Harry est venue àLondres pour régler les affaires de la succession, dit-il.

– Naturellement.

– Sa fortune personnelle était peu dechose… 495 000 francs, je crois, reprit Hugues.

– En pareil cas, la fortune du survivantn’est pas, comme vous savez, l’élément capital.

– C’est juste ; je suppose,d’ailleurs, que lady Harry a un trustee, mais, c’est unesimple hypothèse ; ce que je sais, c’est que lord Harry étaitdans une position des plus embarrassées ; avait-il uneassurance ?

– Oui, autrement sa succession eût été unleurre.

– La prime a-t-elle été payée ?

– Oui, et déposée chez le banquier delady Harry.

– Je vous remercie, monsieur ; avecvotre permission, je vous enverrai un pli à l’adresse de ladyHarry : je vous serai obligé de le lui faire tenir à lapremière occasion. »

À part lui, Hugues pensait :

« Iris ne reviendra jamais plus àLondres : son mari lui a imposé un rôle dans cet affreuxdrame… Juste ciel ! dire qu’elle est devenue la complice d’uneescroquerie,… d’un vol,… ce n’est pas croyable,… c’esthorrible ! »

Dès qu’il fut rentré chez lui, Hugues écrività lady Harry, qu’il avait découvert une chose de la plus hauteimportance pour elle ; mais sans rien préciser, de peurd’éveiller les soupçons ; ensuite, il la conjurait de luiaccorder un rendez-vous, n’importe où, en déclarant qu’un refus desa part pourrait compromettre la sécurité de son avenir.« Croyez, disait-il, en finissant, que je n’ai d’autre but quevotre bonheur et que je reste comme par le passé votre ami le plusdévoué et le plus fidèle. »

C’était tout ce qu’il pouvait faire ;toutefois, il avait conscience que c’était donner un coup d’épéedans l’eau. Le plus raisonnable pour Iris n’était-il pas de vivrecachée avec son odieux mari, en attendant que la mort l’aitdébarrassée de ce prétendu défunt ? Des considérationsmajeures les décideraient sans doute à dresser leur tente sur unpoint où ils n’auraient nulle occasion de rencontrer personne lesayant connus avant qu’ils eussent mis le doigt dans cet horriblepâté.

De plus, il se demandait si Iris avait euconnaissance du meurtre ? Il se rappela les instructionsdonnées par elle à Fanny. En conséquence, il lui dicta les lignessuivantes :

« J’ai reçu la lettre que milady a eu labonté de m’écrire et le mandat de 250 francs qu’elle a eu lagénérosité de m’adresser. J’en remercie milady de tout mon cœur. Meconformant aux recommandations de milady, j’adresse cette lettre àBruxelles, poste restante. M. Montjoie, forcé de rester enÉcosse un certain temps, par suite des alternatives de la maladie,a pu enfin revenir à Londres ; il me charge de dire à milady,qu’il a eu un entretien avec l’un de ses hommes d’affaires et qu’illui a fait tenir une lettre pour elle. Il désirerait, en outre,faire à lady Harry une communication de la plus hauteimportance.

« Depuis que je suis revenue de Passy, ilm’a semblé qu’il était de mon devoir de raconter tous les faits quise sont passés sous mes yeux. M. Montjoie a pris connaissancede ce récit et il émet l’avis que je dois en faire tenir une copiesans délai à milady ; au lieu d’écrire les noms propres entoutes lettres, j’ai mis seulement les initiales et je crois quemilady n’aura aucune difficulté à trouver la clef.

« Je me permets d’offrir à miladyl’expression de l’attachement inaltérable de son humble et trèsreconnaissante servante.

« FANNY MIRE. »

Telle était la missive qui attendait Iris àBruxelles. Ah ! combien elle était loin de penser auxtourments que lui devait causer sa réponse à l’avertissement insérépar sa femme de chambre dans le ContinentalHerald !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer