C’était écrit

Chapitre 56

 

Un fait certain, c’est que le malade futtransporté à Passy, tard, dans la soirée. Un sentiment d’orgueilplus fort que la curiosité, joint à une poignante horreur deVimpany, retint lady Harry dans sa chambre. Le bruit de pas lourdset réguliers lui apprit que l’on transportait le patient à l’étagequ’elle occupait elle-même. Plus tard, Fanny lui raconta comme quoiet comment, le docteur avait baissé le gaz dans le corridor avantl’arrivée du malade, afin d’empêcher lady Harry de voir lesurvenant et de constater sa ressemblance avec lord Harry.

Les heures s’écoulent ; le train-train dela maison se ralentit peu à peu ; tout le monde se couche,Iris exceptée. La pensée de son malheureux sort s’impose plusencore à son esprit pendant le silence de la nuit que durant lejour. Des mystères, pronostics de dangers à venir, obscurcissenttout autour d’elle. Ce joli cottage où la lune de miel s’étaitécoulée si doucement, allait-il devenir le théâtre d’événements quila forceraient à se séparer pour toujours de lord Harry ?Était-ce là l’effet de l’imagination surexcitable d’une femmehystérique ? Le fait que lord Harry et le docteur luicachaient la vérité, ne justifiait-il pas toutes sescraintes ? Le premier avait essayé de la tromper ; lesecond de l’effrayer ; eussent-ils agi pareillement sansmotif ? certes, non ! L’aube commençait à poindre, maisIris, l’oreille tendue, n’avait pas encore entendu les pas de lordHarry ; brisée de fatigue, elle se jette sur son lit ets’endort.

Elle s’éveille tard et sonne Fanny. Lord Harryvenait de rentrer : il faisait dire à sa femme qu’il avaitmanqué le dernier train de banlieue et plutôt que de payer unecourse de fiacre, il avait accepté un lit chez l’un de sesamis ; il était dans la salle à manger et il espérait que ladyHarry viendrait déjeuner avec lui. Peu après, sa femme va lerejoindre ; jamais, y compris même les jours ensoleillés etenivrants qui suivirent leur union, lord Harry ne s’était montréplus aimable, avec un revif de grâce, plus séduisant que pendantcette mémorable matinée. Ses excuses, pétillantes d’esprit et sesremarques sur la pièce du Théâtre-Français, observations de finecritique s’il en fut jamais, eurent le don de distraire et decharmer Iris. Il fût un temps, où elle n’aurait pas hésité àrappeler à son interlocuteur les droits qu’elle avait à sesconfidences : il fut un temps, où elle eût combattu avec forcel’influence néfaste du docteur ; il fut un temps enfin, oùelle eût fait appel à tout son amour, pour briser les liensd’amitié qui attachaient lord Harry à ce chenapan ! Mais,depuis lors, Iris Henley était devenue lady Harry. Donc, tous lesjours, comme Mme Vimpany l’avait prédit, lord Harrydescendait d’un cran dans l’estime de sa femme. Tout en étant sousle charme, elle projetait de lui river son clou à la premièreoccasion, occasion qui se présenta de la façon suivante :

« À présent, ma chère Iris, que vous avezentendu le récit de mon escapade, faites-moi vos confidences àvotre tour ? Avez-vous déjà aperçu le pauvre diable queVimpany veut disputer aux microbes ! » demande-t-il,anxieux de savoir si la ressemblance entre Oxbye et lui-mêmel’avait frappée d’entrée de jeu.

« Non, je ne l’ai pas encore vu, réponditIris en regardant droit lord Harry. Le docteur a-t-il quelqueespoir de le guérir ? »

Alors tirant son étui à cigares, le sauvagelord en choisit un, le tourne et le retourne entre ses doigts et,faisant un effort pour rester calme, dit :

« Oh ! quant à ça, il n’y a rien àcraindre, M. Oxbye est entre bonnes mains.

– On a vu des malades s’en allersubitement et des médecins se tromper », ajoute Iris.

Tout en parlant, elle observe que son maritremble, et qu’il cherche en vain, à frotter une allumette. Enfin,il y réussit et pendant qu’il envoie des tourbillons de fuméeautour de lui, son interlocutrice ajoute :

« Dans le cas présent, cela pourraitproduire de déplorables résultats, savez-vous ?

– Enfin, où en voulez-vous venir ?dit lord Harry avec emportement.

– À mon tour, je me demande ce que j’aidit ou fait pour provoquer votre colère ? Je me suis bornée àexprimer une opinion,… une crainte… »

À ce moment, Fanny entre dans la pièce avec untélégramme à la main.

« C’est pour milady », fit-elle enlui remettant le pli bleu.

Iris l’ouvre. Le télégramme, signé parMme Vimpany, contient ces mots :

« Votre père dangereusement malade :votre présence est urgente.

– Y a-t-il quelque chose qui meconcerne ? » demande le sauvage lord.

Iris passe le télégramme à son mari et luidit :

« Avez-vous une objection à mondépart ?

– Certes non », répond-ilvivement.

Elle se dirige alors vers la porte ; ilsuit sa femme et ajoute :

« Surtout ne prenez pas ma réponse commeune marque de mon indifférence. Vous avez parfaitement raisond’aller voir votre père, voilà ce que je voulais dire. »

Très reconnaissante de ces simples mots, Irisétait sur le point de le prier, derechef, de lui faire l’honneur deses confidences, quand, reparaissant, il l’invite à ne pas manquerle chemin de fer ; sa voix trahit l’émotion qui l’oppresse etavant qu’Iris ait pu le voir, il détourne la tête et sort.

Fanny attendait encore dans la salle à manger,anxieuse de connaître le contenu du télégramme. L’ayant lu deuxfois, elle dit :

« Avouez, milady, qu’il est rare de voirles choses tourner ainsi ; vu les circonstances, c’est presquetrop de chance ! Si milady veut bien, j’irai faire ses malles,pendant que je puis disposer de quelques instants :M. Oxbye dort. »

En attendant l’heure du départ, Iriss’abandonne à ses réflexions ! Elle se décide à faire unedernière tentative, afin d’inciter lord Harry auxépanchements ; mais le temps passe, et il ne reparaît pas.Force lui est donc de dîner seule ! Pour la seconde fois, il acapitulé devant l’influence qu’elle exerce encore sur lui. Le cœurrempli de tristesse, découragée, malheureuse, elle se prépare àpartir par le train du soir.

Les devoirs d’une garde-malade obligeant Fannyà rester à son poste, Iris se demande ce que va devenir samalheureuse camériste ? elle tremble à l’idée du sort quiattend cette créature d’exception. Au moment de s’éloigner, ladyHarry l’embrasse affectueusement ; elle, de son côté, leslarmes aux yeux, serre sa maîtresse dans ses bras,disant :

« Je devine les pensées de milady,…permettez-moi d’aller voir s’il ne serait pas dans sachambre ? »

Iris promène ses regards autour de la pièce,dans l’espoir de découvrir une lettre, mais de lettre point !Fanny monte l’escalier quatre à quatre et redescend de même, unpapier froissé à la main :

« Mes vilains yeux bleus, dit-elle, sontmeilleurs que ceux de milady. Le vent aura emporté ce papier par lafenêtre ouverte. »

Iris lut ce qui suit :

« Je suis d’avis qu’il vaut mieux quevous me quittiez, mais seulement pour peu de temps ; pardon,ma très chère, le courage de vous dire adieu me manque. »

C’était tout ! Sa femme, de son côté, luirépond en hâte :

« Vous m’avez épargné une cruelleépreuve : puis-je espérer retrouver quand je reviendrai,l’homme à qui j’ai voué confiance, respect et amour !Adieu ! »

Où et comment devaient-ils seretrouver ?

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