C’était écrit

Chapitre 43

 

En arrivant à Londres, Montjoie allas’informer à l’établissement des gardes-malades, si l’on peutparler à Mme Vimpany. On lui répondit qu’elle étaitprès d’un malade dont le nom et l’adresse n’étaient connus que dela directrice qui s’était engagée à ne les communiquer à âme quivive. Par surcroît, il s’agissait d’un cas de scarlatine aveclequel il n’y avait pas à plaisanter.

En réalité, les circonstances qui avaientamené Mme Vimpany près du malade, étaient fortextraordinaires. Sur la demande spéciale du patient, unegarde-malade, entrée depuis peu dans l’établissement, avait étéchargée de lui donner ses soins : il prétendait, en outre,qu’il y avait entre eux des liens de parenté plus ou moinséloignés. Au moment de se rendre près du malade, un télégrammeannonça à cette dame que sa mère était en danger de mort.Mme Vimpany, de nature obligeante et dévouée,offrit de remplacer sa camarade. Alors, un fait étrange seproduisit. Le malade en question fit demander à la directrice de lamaison si sa future garde-malade était Irlandaise. Sur la réponsequ’elle était d’origine anglaise, il accepta immédiatement sesservices.

Un détail rendait la chose plus mystérieuseencore, c’est qu’il était lui-même Irlandais.

Ses préjugés contre les Irlandais éveillèrentles soupçons de la directrice. Ne semblait-il pas que desévénements regrettables pesassent sur la vie de cet homme ? Lefait de recevoir les soins de l’une de ses compatriotes nepouvait-il lui créer de graves embarras en cas d’enquête ?D’un air solennel, la directrice adjure Mme Vimpanyde renoncer à soigner le patient irlandais, mais tous sesraisonnements furent inutiles.

« Tout ce que je sais, répondit sonimpassible interlocutrice, c’est que je ne peux revenir sur mapromesse.

Montjoie se préparait à repartir sans avoirrien obtenu, lorsque la directrice lui proposa un compromis :elle se chargerait de faire tenir une lettre àMme Vimpany, s’il voulait se contenter de ce moyende communication avec elle. Après avoir délibéré, Montjoie prit leparti d’accepter cet expédient ; au demeurant, il n’y avaitpas de temps à perdre pour éviter que le sauvage lord ne reçût uneautre lettre de son correspondant irlandais. Séance tenante, ilécrivit les lignes suivantes :

« Chère madame,

« Voudriez-vous avoir la bonté de mefaire savoir si le nom de X… (nom indiqué par Iris) vous estconnu ? Si oui, l’intérêt de lady Harry exige que vousm’accordiez un entretien immédiat.

« Votre respectueux et dévoué

« H. MONTJOIE. »

P. -S. – « Je suis en parfaitesanté et n’ai cure de la contagion. »

Le courrier du soir lui apporta la réponsesuivante :

« Cher monsieur Montjoie,

« Je me fais conscience de consentir àvous voir en ce moment, le danger de la contagion est tel, dans lascarlatine, que je n’ose ni vous écrire, ni même me servir depapier pris dans la chambre de mon malade ; ce n’est pas uneexagération de ma part ; à telle enseigne que le docteur m’acité hier un cas de scarlatine transmis par l’usage d’un morceau deflanelle encore infectieuse, après une année écoulée. Je fais doncappel à votre bon sens pour accepter mes raisons dilatoires. Enattendant le moment de causer avec vous, et cela sans vous exposerà courir de risques, je vous dirai que lord Harry m’a présenté lapersonne dont le nom est inscrit dans votre lettre ; j’ai eul’occasion depuis lors de la revoir plusieurs fois.

« Toute vôtre,

« A. VIMPANY. »

Montjoie fut indigné de cette réponse à lafois sèche et prudente ; c’était l’occasion ou jamais demettre lord Harry au pied du mur et de l’empêcher de commettre uncrime !

Voilà donc anéantie la chance inouïe qu’iln’eût osé escompter en faveur d’Iris ! Voilà donc réduite àrien l’occasion unique de condamner lord Harry à l’inaction !L’entretien sur lequel Hugues avait fait fonds lui était bel etbien refusé et cela par suite d’une crainte pusillanime provoquéepar des mensonges absurdes, au sujet d’un morceau deflanelle !

Il ramassa le malencontreux pli jeté par luisur le sol et il allait le déchirer, lorsqu’il aperçoit impriméeune adresse sur la feuille blanche : donc, ou l’on n’avait pasvu que cette feuille était mal pliée, ou l’on s’était dispensé derecopier cette lettre. Remis de bonne humeur par ce hasardprovidentiel. Hugues prit la résolution d’aller le lendemainsurprendre Mme Vimpany ; mais pendant lasoirée, ses réflexions lui suggèrent qu’un formidable obstacles’opposait à l’exécution de ce plan.

Soit qu’il décline son nom ou qu’il le cache,elle refusera sûrement de recevoir sa visite ; la seulepersonne, avec laquelle il puisse s’entretenir de la situation, estson vieux et fidèle serviteur. Cet homme qui avait appartenusuccessivement à l’armée, à la police et à un établissementscolaire, se livra durant toute la matinée du lendemain à desinvestigations préliminaires. En ce faisant, il obtint deuxrenseignements précieux : le premier, c’est queMme Vimpany demeurait dans la maison où la lettreavait été écrite ; le second, c’est qu’un petit groom, auquelon devait donner congé, était très disposé, moyennant finance, àfaire le guet pour servir les intérêts de Montjoie, et cela àpartir de deux heures de l’après-midi ; il devait indiquer lapièce où Mme Vimpany prenait ses repas. Ce qui futdit fut fait. D’une main discrète, le groom indiqua une porte dusecond étage, et de l’autre, il empocha un bon pourboire, puisdisparut.

À l’instant où Montjoie pénètre chezMme Vimpany, elle s’écrie d’une voix sombre etfatidique :

« Êtes-vous fou ! Comment avez-vouspu pénétrer ici, qu’y venez-vous faire ? Ciel ! nem’approchez pas ! »

Elle essaye, en vain, de faire sortirMontjoie ; mais, la saisissant par le bras, il l’oblige à serasseoir, puis il prononce ces mots :

« Iris est dans la peine ; il est envotre pouvoir de la secourir.

– La fièvre, la contagion, la mort !dit Mme Vimpany sans vouloir entendre à rien ;éloignez-vous de moi ! »

Elle chercha de nouveau à le pousser dehorspar les épaules.

« La fièvre ou pas de fièvre, lacontagion ou pas de contagion, peu m’importe ! Je ne sortiraid’ici que lorsque vous saurez ce qui m’amène. Lord Harry esthorriblement jaloux ; la situation de sa malheureuse femme estdes plus critiques.

– Quoi, c’est pour me dire cela que vousrisquez de prendre une maladie des plus dangereuses ? Il y alongtemps que je sais à quoi m’en tenir là-dessus. Tenez, si vousne partez immédiatement, je sonne.

– Sonnez si bon vous semble, mais jetiens à vous dire qu’il est urgent que nous nous entendions en vuedes événements à venir ; on dit que l’assassin de mon frèreest à Londres et que lord Harry en a été informé.

– Juste ciel ! s’écrieMme Vimpany en jetant un regard d’épouvante àMontjoie ; je vous jure que je ne fais pas partie de laconspiration ourdie pour sauver ce misérable ;… je ne leconnaissais pas plus que vous, lorsque j’ai offert de lui donnermes soins ;… je dois dire que les paroles qui lui sontéchappées pendant son délire m’ont révélé la vérité. »

Cela dit, une autre porte s’ouvre et unevieille femme toute tremblante paraît et s’écrie :

« Venez au plus vite, venez ou je neréponds de rien ; le délire a repris de plusbelle ! »

Inquiète et agitée,Mme Vimpany se dirige vers la piècevoisine :

« Restez ici et écoutez, dit-elle àMontjoie.

À cet effet, elle laisse la porteentre-bâillée.

Voici ce qu’il entendit :

« À qui donc est échue la tâched’assassiner le traître ? à moi ? Qui donc l’a tué sur laroute avant qu’il ait pu pénétrer dans le bois ? Moi !Arthur Montjoie coupable de trahison enversl’Irlande ! Voilà, amis, l’épitaphe qu’il faut fairegraver sur sa tombe. Enfin, il est un patriote parmi nous et cepatriote, c’est moi. La Providence m’a pris sous sa protection…Ah ! my lord Harry, vous aurez beau chercher sur la terre etsur l’onde, le patriote est hors de votre atteinte. Le docteur estconvaincu que je n’en ai plus pour longtemps, que la fièvre vam’emporter. J’attends la mort avec calme, du moment que ce n’estpas la main de lord Harry qui me frappe. Ouvrez les portes, il fautque tout le monde m’entende, je meurs avec l’auréole d’un saint,oui, du plus grand des saints, celui-là même qui a débarrassé laterre d’un affreux traître. J’ai chaud,… j’ai soif,… à boire,… àboire… »

Le malheureux pousse après cela des crislamentables, c’était plus que Montjoie n’en pouvait supporter,aussi quitte-t-il cette sinistre demeure le cœur navré.

Au bout de dix jours, Iris reçoit une lettred’une écriture à elle inconnue, en voici la teneur :

« Le devoir qui incombe à toutegarde-malade lui rend sacré l’individu confié à ses soins, au casmême où elle viendrait à découvrir qu’il s’agit d’un bandit voué àl’assassinat, ce fait l’excuserait-il si elle venait àl’abandonner, ou si elle s’acquittait moins scrupuleusement de satâche ? Nullement, la garde-malade, pas plus que le médecin,ne doit s’enquérir si son patient est digne ou non de ses soins.Elle consacre tout ce qu’elle a d’expérience, de dévouement etd’intelligence à sauver les jours de celui à qui elle refuserait lamain dès qu’il sera revenu à la santé. Il s’en est peu fallu que lamaladie ne ravisse à lord Harry l’objet de sa vengeance, mais lamort, après avoir rodé longtemps autour du malade, est vaincue parla forte constitution du patient et par les soins attentifs de sagarde-malade. Il était en pleine convalescence, lorsque des amis àlui, accompagnés d’un médecin, vinrent demander M. Carigeen,nom par lequel le malade se faisait appeler ; on le fit sortirde la maison avec des précautions infinies et, à cet instant, on setrouve en face d’un mystère impénétrable. Vers quel pointl’avait-on dirigé ? Dans cette obscurité, une seule choserestait claire, c’est que la piste du susdit Carigeen étaitperdue !

P. -S. – La greffe malsaine de lacontagion a pris sur le pauvre mortel, qui en avait siaudacieusement bravé les effets pernicieux. Hugues Montjoie,victime à son tour de l’homme qui a tué son frère, est atteintd’une scarlatine infectieuse.

Heureusement qu’une garde-malade dévouée lesoigne jour et nuit.

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