C’était écrit

Chapitre 23

 

Un peu plus de quatre mois se sont écoulésdepuis le retour d’Iris à la maison paternelle, mais force nousest, pour la clarté du récit, de mettre le lecteur au courant dufait important qui venait de se produire.

On n’a pas oublié, sans doute, que la jeunefille étant retournée à la gare, y avait trouvé Hugues Montjoie.Dès qu’ils furent dans un wagon, il fut frappé de l’agitation de sacompagne de voyage. Alors elle commença le récit de son entrevueinopinée avec lord Harry, sans passer sous silence, bien entendu,ce qu’il lui avait confié relativement à sa résolution d’allertenter fortune sur les côtes de l’Afrique méridionale. Iris rappelaà Hugues les révélations que le docteur Vimpany, encore dans lesdouces fumées du vin de Château-Margaux, lui avait faites etcomment l’expatriation devenait une nécessité pour lord Harry.

Avant de répondre à Iris, Montjoie fit unsérieux effort pour chasser de son esprit ses prétentions, bienfondées, d’ailleurs, contre son rival. Quand il se fut calmé, iltint conseil avec lui-même : s’avisant en homme prudent que cen’était peut-être, après tout, qu’un expédient pour tranquilliserIris, ou pour pallier ses torts, Montjoie résolut de mettre tout enœuvre pour savoir si ce mécréant était de bonne foi ou non.

À cet effet, il achète un journal à la gare,afin de chercher, aux nouvelles maritimes, le départ des paquebotsen destination pour le sud de l’Afrique, ce pays, comme l’on sait,des mines d’or et de diamants.

Il apprit ainsi que le premier bateau enpartance pour le Cap, devait lever l’ancre en quarante-huit heures.La chose importante, maintenant, c’est de ne pas laisser échapperle susdit voyageur. Pour cela, Hugues donnerait l’ordre à son valetde chambre (qui lui était dévoué comme pas un) de se mettre envedette sur les docks de Londres.

« Dites-moi, fit Iris, comme pourrecueillir ses idées, quel résultat favorable espérez-vous retirerde votre combinaison ?

– Croyez-moi, reprit Hugues avecconfiance, le seul moyen de se tirer de là, c’est de forcer Harry àrenoncer à son plan. Vous lui écrirez et lui représenterez commentil s’est trahi lui-même, en sorte que vous renoncez à tout rapportavec lui, s’il persiste à mettre à exécution son odieuse résolutionde vengeance. »

Telle fut la tentative désespérée qu’inspiraalors à Montjoie son dévouement illimité pour sa chère Iris.

En conséquence, le serviteur chargé de lalettre de miss Henley alla se poster en sentinelle ;l’éventualité sur laquelle on ne fondait qu’une faible espérance,devint bientôt une réalité.

Lord Harry était, en effet, l’un des passagersdu paquebot. Après avoir remis la lettre au voyageur, le porteurlui demande s’il doit attendre la réponse. Le sauvage lord parcourtle billet d’un œil anxieux ; sa physionomie secontracte ; il est hésitant et incapable d’exprimer sa pensée.Enfin, il reprend :

« Dites à miss Henley que je donnerai demes nouvelles, dès que le paquebot fera escale à Madère. »

Sans cesser de suivre lord Harry des yeux, leserviteur le voit monter à bord ; à cet instant, il fait laremarque que le passager retourne la tête, comme s’il eût craintd’être espionné, puis il descend aussitôt dans sa cabine.

Le paquebot ne leva l’ancre que longtempsaprès, mais le sauvage lord ne reparut plus sur le pont !

La réponse ambiguë du voyageur mordit Iris aucœur ; une perspective de plusieurs semaines d’angoissess’ouvrait devant elle ; autre circonstance aggravante :Montjoie, appelé inopinément près de son père malade dans le midide la France, ne pourrait ni la consoler, ni lui prêcherrésignation et courage dans ses moments d’épreuve. Toujours est-ilque, pour triste que fût l’existence de miss Henley, saréconciliation avec son père exerçait pourtant une heureuseinfluence sur sa vie ; au demeurant, l’accueil paternel avaitété bienveillant, sinon affectueux.

« Si chacun de nous est bien déterminé,avait dit M. Henley à sa fille, à ne pas imposer sa volonté àl’autre, nous jouirons de la paix intérieure. Croyez, ma chèreIris, que je suis fort aise de vous revoir. »

Il n’y avait là rien de bien affectueux, mais,de la part de M. Henley, c’était déjà beaucoup.

Le docteur de Londres ayant déclaré qu’unséjour aux champs était indispensable au complet rétablissement deRhoda, Iris s’avisa de solliciter de son père, l’autorisationd’envoyer sa fidèle camériste dans une de leurs fermes, au nord del’Angleterre.

Le vif intérêt qu’Iris portait à sa servante,ne laissait pas d’être un grand sujet d’étonnement pourM. Henley, mais craignant les tracasseries, il n’en céda pasmoins au désir de sa fille. Cette concession obtenue, il ne sepassait guère plus d’une semaine, sans qu’elle n’allât près deMuswell Hill.

D’autre part, Montjoie se montrait uncorrespondant assidu. La maladie de son père pourrait être delongue durée, disait le médecin, mais il était douteux qu’il pûtjamais guérir. Dans ces tristes conditions, Hugues avait unecorrespondance suivie avec Iris ; les détails qu’elle luicommuniquait sur l’emploi de son temps, apportaient un grandadoucissement aux préoccupations de Montjoie. Désireuse de luicomplaire, en le tenant au courant de tout ce qui se produisaitjournellement, y compris les embarras domestiques auxquels elleétait réduite par suite du départ de Rhoda, elle fit savoir à soncorrespondant qu’elle avait gagé une jeune servante dont on disaitmerveille. On ne lui avait pourtant pas caché qu’elle avait étévictime de son amour pour un misérable qui, après lui avoir promismariage, l’avait lâchement abandonnée ; si la personne chezqui elle avait servi, n’avait écouté que ses propres sentiments,elle eût, certes, gardé Fanny Mire à son service, l’ayant seulementcongédiée, par égard pour son personnel ; elle ne pouvait,disait-elle, en donner que les meilleurs renseignements.

Voici la lettre que reçut un beau matin missHenley, lettre si impatiemment attendue depuis longtemps !

« Je crains, mon ange, de vous avoiroffensée ; d’ici, il me semble vous entendre dire :Ah ! ce misérable Harry pourrait pourtant m’écrire deuxlignes ! que fait-il ? sa réponse verbale n’avait aucunesignification ! La vérité, voyez-vous, mon adorée, c’est quemon embarras était grand ; valait-il mieux ou dissimuler ouparler avec franchise ? Or, il m’a fallu cinq jours pour mefixer, pour sortir de mes perplexités et arriver enfin à laconclusion que tout honnête homme doit à une femme loyale.Personne, que je sache, n’a traité Brutus et Charlotte Corday devils assassins ! Pourquoi me traitez-vous avec plus derigueur ? Je tiens celui qui a ravi l’existence d’ArthurMontjoie, pour le plus horrible scélérat qui, depuis Caïn, aitfoulé le sol fangeux de la terre !

« Oui, je le répète, je le répéteraitoujours, ce meurtre crie vengeance. Voilà, ma bien-aimée, ce queje voulais vous dire. Ma réponse est sans réplique ; j’ai laconscience parfaitement tranquille de ce côté. Il me restemaintenant à calmer vos scrupules si faire se peut. Sachez doncque, lorsque je vous ai aperçue à la fenêtre de la maison Vimpany,je courais à la gare, voulant poursuivre jusque dans sesretranchements, l’assassin que je supposais caché au bord de lamer. Or, il avait déjà détalé ! Étant parvenu à découvrir sapiste, je suis de nouveau reparti comme un trait pour Londres.Malheureusement, un traître irlandais ayant eu vent de mon plan,l’infâme m’a derechef échappé ! Il n’était pas à bord, etavait pris passage sur un autre paquebot. Où allait-il ?Oh ! mais je finirai bien par le découvrir ; le jour duchâtiment viendra pour lui et, à son tour, il mourra d’une morttragique. Ainsi soit-il !… Ainsi soit-il !

« À quelles fins, me direz-vous, êtreparti pour l’Afrique méridionale, du moment que vous saviez qu’iln’était pas à bord ? Je vous jure, ma bien-aimée, qu’en cefaisant, votre pensée seule a dirigé mes actes. Pourquoi, medisais-je, n’aurais-je pas la chance de faire fortune comme tantd’autres et de revenir mes poches bourrées d’or et dediamants ? Pourquoi, enfin, ne deviendrais-je pas un hommerangé et sage ? Les deux objections que vous et votre pèreopposez à la réalisation de mes plans les plus chers,s’évanouiraient alors, comme par enchantement.

« Transmettez, je vous prie, cette partiede ma missive à M. Henley, en même temps que mes souvenirs. Jeprétends que l’effet en sera irrésistible et tel que je le puissouhaiter.

« Adieu, ma chère Iris, que je me plais àappeler par anticipation lady Harry. Partagez ma confiance enl’avenir, et ne soyez pas surprise si mon retour devance le délaique vous supposez. Croyez-moi, jusqu’à la mort et au delà, votreami le plus dévoué.

« HARRY. »

En lisant les lignes ci-dessus, Iris, commecelui qui les avait tracées, se sentait partagée entre deuxcourants d’idées diamétralement opposés. Certaines parties de cetteépître lui inspiraient plus que de la sympathie ; certes,l’avenir du sauvage lord ne laissait pas d’être gros d’orages, detempêtes et pis encore ! soit qu’il réussisse dans sonentreprise, soit qu’il échoue, la vengeance ou l’échafaud luiréservaient une fin tragique !

Tressaillant d’épouvante, elle chasse de sonesprit ses pensées lugubres, pour n’envisager que la perspective duretour de lord Harry, innocent de tout crime et n’ayant, en somme,à redouter ni mort violente, ni châtiment infamant. Et pourtant, ilne sera pas dit pour cela, qu’elle consente à épouser un homme qui,en dépit des promesses qu’il fait de s’amender, a sur la conscienceautant d’équipées que lui ! une lettre inoubliable et, enfin,un pareil plan de vengeance ! Non, une femme douée de quelquebon sens doit renoncer à l’idée de porter le nom d’un telhomme !

Elle ouvre son bureau ; après y avoirserré la lettre de Harry, elle ressent cette même impressiond’épouvante qu’une fois déjà elle avait éprouvée et dont elle avaitmême encore le souvenir trop présent à la mémoire.

Elle se laisse choir sur un siège. Ah !que n’avait-elle près d’elle quelqu’un à qui se confier !quelqu’un à qui demander conseil et capable de tempérer sonanxiété !… Mais, non, Hugues était déjà loin !

En ce moment, elle n’avait près d’elle queFanny Mire ; qui sait ? peut-être serait-elle l’âmecompatissante après laquelle elle soupirait !

Après s’être regardée au miroir, elle pousseun éclat de rire amer, en observant sa physionomie hagarde.

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