C’était écrit

Chapitre 4

 

Sir Giles, parrain de miss Henley, pouvaitpasser pour un être privilégié. Posant ses mains velues sur lesépaules de sa filleule, il l’embrassa sur les deux joues. Après cesdémonstrations de tendresse, il demanda par suite de quellescombinaisons extraordinaires elle s’était décidée à quitterLondres, pour venir lui rendre visite à sa maison de banqued’Ardoon ?

« J’avais la volonté bien arrêtée dem’éloigner de la maison paternelle, répondit Iris Henley ;n’ayant personne à aller voir, j’ai pensé à mon parrain, et mevoilà.

– Toute seule ? s’écria sirGiles.

– Non pas, avec ma femme de chambre.

– Rien qu’elle, hein ? Vous avezsûrement des camarades parmi les jeunes filles de votrerang ?

– Des connaissances, oui, des amies,non.

– Votre père a-t-il approuvé votreplan ? demanda le banquier en regardant attentivement soninterlocutrice.

– Voulez-vous m’accorder une faveur,parrain ?

– Oui, si c’est chose possible.

– Eh bien ! n’insistez pas sur cepoint délicat », répondit-elle.

La légère coloration, qui s’était répandue surle visage de la jeune fille au moment de son entrée dans la pièce,s’était dissipée tout à coup. Ses lèvres serrées révélaient cettevolonté inébranlable qui provient, le plus souvent, du sentiment deses torts. En somme, elle paraissait avoir dix ans de plus que sonâge.

Sir Giles la comprit, il se lève, arpente lachambre de long en large, puis soudain, il s’arrête. Enfonçant sesmains dans ses poches, il dit d’un ton interrogateur, endévisageant sa filleule.

« Je gage que vous aurez eu une nouvellequerelle avec votre père ?

– Je n’en disconviens pas, répondit lajeune Iris.

– Qui a tort de vous deux ?

– La femme a toujours tort,répondit-elle, un sourire triste effleurant ses lèvres.

– Est-ce votre père qui vous a ditcela ?

– Mon père s’est borné à me rappeler quej’ai atteint ma majorité depuis quelques mois et que je suis libred’agir à ma guise, je l’ai pris au mot, et me voilà.

– Vous comptez retourner sous le toitpaternel, hein ?

– Ah ! quant à cela, je n’en saisrien », dit miss Henley d’un ton sérieux.

Sir Giles recommença alors à marcher de longen large. Sa physionomie atrabilaire révélait les luttes et lesépreuves de son existence.

« Hugues, dit-il, m’avait promis dem’écrire, mais il n’a pas tenu sa promesse. Je sais ce qu’il fautinférer de son silence, et pourquoi et comment, vous avez faitsortir votre père des gonds, mon neveu a demandé votre main pour laseconde fois et pour la seconde fois vous l’avezéconduit ! »

Le visage d’Iris se détendit, un air dejeunesse et de grâce l’embellit de nouveau.

« Vous l’avez dit », fit-elle d’unton triste et soumis.

Sir Giles, perdant patience,s’écria :

« Que diable avez-vous donc à reprocher àHugues ?

– C’est bien là ce que mon père m’ademandé et presque en termes identiques. Quand j’ai essayé de luidonner les raisons qui m’ont décidée à l’éconduire, il s’estemporté, or, je ne veux pas risquer de vous mettre en colère àvotre tour. »

Sans paraître écouter la jeune fille, sonparrain poursuivit :

« Voyons, Hugues n’est-il pas unexcellent garçon, au cœur affectueux et aux noblessentiments ? Et un bel homme par-dessus le marché !

– Tout cela est l’exacte vérité ;j’avoue qu’il m’inspire de la sympathie, voire del’admiration ; je dois à sa bonté pour moi, je le reconnais,quelques-uns des meilleurs jours de ma triste existence et je luien ai une profonde reconnaissance.

– Parlez-vous sérieusement ? demandasir Giles.

– Très sérieusement.

– Alors votre décision est inexcusable.Je déteste qu’une jeune femme fasse le mal pour le mal. Pourquoi,diable, n’épousez-vous pas Hugues ?

– Ah ! que ne pouvez-vous, enregardant dans votre âme, lire dans la mienne. Hélas ! Huguesne peut m’inspirer d’amour ! »

Le timbre de la voix d’Iris était plusexpressif que ses paroles mêmes.

Le mystère douloureux de sa vie était connuégalement de son père et de son parrain.

« Enfin, nous y voilà ! fit lebanquier d’un ton rébarbatif ; vous convenez que vous nepouvez aimer mon neveu, mais sans dire le motif de votredétermination ; la douceur de votre nature répugne à l’idéed’exciter ma colère. Tenez, Iris, sans y aller par quatre chemins,je vais vous dire le nom de son heureux rival : c’est lordHarry ! »

La jeune personne s’observa si bien, que rienen elle ne vint confirmer les paroles de son parrain ; elle seborna à incliner la tête et à croiser les mains. Une résignationinébranlable à tout supporter, semblait lui raidir le corps, maisc’était tout.

Sir Giles, résolu à ne pas épargner sapupille, poursuivit :

« Que diantre ! il est avéré quevous n’avez pas encore triomphé de votre folie pour ce vagabond quivous a ensorcelée. Où qu’il aille, soit dans les lieux mal famés,soit avec des gens de sac et de corde, votre cœur le suit partout.Malheureuse enfant ! n’êtes-vous pas honteuse d’un attachementpareil ?

– Que Harry soit un pilier de tripot, unpanier percé, que sa conduite à l’avenir soit pire que dans lepassé, c’est très possible. Je me décharge sur ses ennemis du soinde mesurer la profondeur de l’abîme où l’ont précipité sa mauvaiseéducation et la mauvaise société qu’il a fréquentée ; mais jecertifie qu’il a des qualités qui rachètent ses défauts.Malheureusement, les gens de votre acabit, fit Iris d’un tondédaigneux, ne sont pas assez bons chrétiens pour être bons juges.Grâce à Dieu ! il lui reste des amis qui sont moins sévèresque vous. Votre neveu est de ce nombre ; les lettres queArthur m’écrit en font foi. Accablez lord Harry de reproches, sibon vous semble : dites qu’il est un gaspilleur de temps etd’argent, moi, je répéterai, de mon côté, qu’il est capable derepentir et un jour – trop tard malheureusement – il justifiera mespronostics. Nous sommes séparés pour toujours probablement. Je nesaurais songer à devenir sa femme. Eh bien ! c’est le seulhomme que j’aie jamais aimé et que j’aimerai jamais ! Si cetétat d’esprit vous semble impliquer que je suis aussi perverse quelui, ce n’est pas moi qui vous contredirai. Existe-t-il unecréature humaine qui ait conscience de ses défauts ?

« Avez-vous eu des nouvelles de Harrydepuis peu, mon parrain ? »

Cette transition soudaine d’un chaleureuxplaidoyer en faveur d’un jeune homme, à une question banale sur soncompte, causa une singulière impression à sir Giles. Pour lemoment, il ne trouvait rien à dire, Iris lui avait donné amplematière à réflexion. Qu’une jeune femme ait assez d’empire surelle-même, pour arriver à dominer ses sentiments les plus violents,juste au moment où ils menacent de l’emporter, c’est une chose peucommune. Comment parvenir à avoir de l’influence sur elle ?C’était là un problème compliqué, qu’une volonté patiente etattentive pouvait seule résoudre. Par obstination plutôt que parconviction, le banquier se flattait, qu’après avoir été déjàéconduit deux fois par Iris, son neveu finirait par avoir villegagnée.

Venue le trouver à son bureau et cela de sonpropre mouvement, elle n’avait point oublié les jours de sonenfance, alors qu’elle trouvait chez son parrain plus de sympathieque chez son père. Sir Giles sentit qu’il avait fait fausse route.Par intérêt pour Hugues, il résolut d’essayer, dorénavant, de ladouceur, des égards et de l’affection. Dès qu’il s’aperçut qu’elleavait laissé sa femme de chambre et ses bagages à l’hôtel, iloffrit gracieusement de les faire prendre, disant :« Tant que vous serez à Ardoon, Iris, j’entends que vous vousconsidériez chez moi comme chez vous ».

D’une part, l’empressement avec lequel elleaccepta l’invitation plut à sir Giles, mais, d’autre part, laquestion relative à Harry ne laissa pas de l’ennuyer ; il seborna à répondre sèchement :

« Je suis absolument sans nouvelles delui, et vous ?

– Pour moi, j’espère de toute mon âme quemes informations sont fausses ; je les tiens d’un journalirlandais ; à en croire cette feuille, lord Harry fait partied’une société secrète, ou plutôt d’une bande d’assassins connuesous ce nom : Les Invincibles. »

Au moment où Iris prononce le nom de cetteassociation formidable la porte s’ouvre, Denis paraît, il vientprévenir sir Giles qu’un sergent attend ses instructions.

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