C’était écrit

Chapitre 41

 

Le lendemain, Hugues Montjoie vit arriver chezlui Fanny Mire vers onze heures du matin. Les nouvelles qu’ellevenait lui apprendre n’étaient rien moins que rassurantes. Elles’exprima en ces termes : J’étais présente lorsque le docteuravait pris congé de ses hôtes, la veille au soir ; desaffaires urgentes, disait-il, le rappelaient à Paris. Soit que lordHarry ajoutât foi ou non aux paroles de M. Vimpany, toujoursest-il qu’il avait l’air enchanté de se débarrasser de lui. LadyHarry, elle, envisageait la chose autrement, elle vit dans cedépart la preuve de la libéralité du plus généreux des mortels.

« Notre ami, dit-elle, à sonépoux, aura reçu de l’argent de mon ami. »

Entendre sa femme parler ainsi de Montjoieexaspérait le sauvage lord qui, peu après, s’éloigna ; aprèsquoi, Fanny Mire se rendit à la gare au pas de course, là même oùelle avait vu le docteur prendre le train de marée. Au retour, ellealla directement chez lady Harry ; mais, ayant entendu unbruit de voix, elle s’était ravisée et avait attendu qu’on lasonnât, fait qui ne se produisit qu’après un long intervalle. LadyHarry paraissait agitée, préoccupée, anxieuse. Fanny se permitalors de lui demander s’il lui était arrivé quelque ennui ?mais de réponse point ! Sans insister, la femme de chambre seborna à dévêtir sa maîtresse, puis, elles se souhaitèrentmutuellement le bonsoir.

Le lendemain matin, c’est-à-dire quelquesheures seulement avant le moment où nous parlons, Fanny Mire avaitconstaté que lady Harry était, à son réveil, moins surexcitée quela veille et plus disposée à s’épancher.

« Je pense que vous éprouvez de lasympathie pour M. Montjoie, avait-elle dit à sacamériste ; tout le monde l’aime. Eh bien ! vous saurezque c’en est fait du plaisir de le revoir ici ! »

Cela dit, elle fit une pause.

Elle paraissait avoir sur le cœur quelquechose qui lui pesait beaucoup ; prête à pleurer, elle surmontepourtant l’émotion qui la gagne et finit par dire :

« Je n’ai ni sœur ni amie à qui confiermes tourments. Ce n’est peut-être pas correct de vous prendre pourconfidente de mes peines, mais une femme peut seule comprendre uneautre femme, compatir à ses douleurs et soigner sesblessures : je suis si seule ! Je me demande si vous avezde la compassion pour mon état ? »

Fanny répondit que oui ; au cas qu’elleeût cru pouvoir se le permettre, combien la camériste se fût sentiesoulagée, en disant que c’était à milord qu’il fallait s’enprendre, que le sexe fort tout entier était dur et cruel envers lesexe faible ; que tous les hommes étaient des tyrans, desscélérats ; mais elle eut le bon sens d’attendre que samaîtresse ouvrît le feu.

Et, en effet, celle-ci raconta la scènepénible qui s’était passée la veille au soir entre elle et sonmari, lequel, au nom de Montjoie, avait verdi et tressailli decolère : ses yeux s’étaient allumés d’un feu étrange, desidées sinistres semblaient s’être emparées de lui. Pressé des’expliquer, sa réponse témoigna de la défiance la plus injurieusecontre elle. Son mari était jaloux ! son mari lasoupçonnait ; cette insulte empoisonnerait le reste de savie ! jamais elle n’eût pensé qu’une idée pareille puttraverser la tête d’un homme ! Accuser Hugues de perfidie, detrahison, lui, dont la conscience rigide ne transigeaitjamais ! quel affreux soupçon ! quelleindignité !

Iris reprit avec émotion :

« Si l’entrée de la maison lui estinterdite, quelles que puissent être les conséquences de madémarche, je tiens à lui aller dire un dernier adieu ! Oui, jeveux exprimer de vive voix à cet incomparable ami le prix quej’attache à son affection. Fanny, ne feriez-vous pas de même à maplace ? »

Arrivée à cet endroit de son monologue, lajeune camériste regardant droit son interlocuteur prononce trèsvite les mots suivants :

« Veuillez rester ici ce soir, monsieur,lady Harry est décidée à venir chez vous et je l’accompagnerai.

– Y pensez-vous ? s’écria Montjoie,avez-vous donc perdu la tête !

– Nullement, réplique-t-elle, d’un airdégagé, mais je suis bien aise de satisfaire mon impérieux besoinde me venger de votre sexe. Lord Harry ignorera tout et il fautconvenir que sa conduite excuse notre audace ! »

Soucieux de détourner Iris de cette aventure,Montjoie traça à la hâte quelques mots pour lui dire qu’elle avaitaffaire à un jaloux et que la jalousie se croit tout permis jusqu’àl’espionnage. Quand Hugues remit ce pli à Fanny, elle hocha la têteet déclara qu’elle était capable de déchirer la lettre en quatre etd’en jeter les morceaux par la portière du wagon.

Hugues essaya d’un autre expédient :

« Dites simplement à lady Harry que jedois repartir ce soir.

– Baste ! Vous n’oseriezpas ! » s’écria l’indisciplinable Fanny d’un tonsardonique.

Voyant qu’il n’y a pas moyen de lui faireentendre raison, Montjoie donne l’ordre à son fidèle valet deguetter l’arrivée d’une dame : il faut l’empêcher de sonner,de façon à échapper à l’œil vigilant du concierge.

L’esprit tranquille, Montjoie se disaitqu’après tout, les chances étaient contre lord Harry. Sur la scène,le mari jaloux arrive toujours à temps pour couper la retraite augalant, mais dans la vie ordinaire, les choses se passentautrement.

À peine avait-il eu le temps de se livrerquelques instants à ses réflexions, qu’il entend ouvrir la porte dusalon avec précaution et Iris entre au grand ébahissement deHugues, qui l’attendait seulement quelques heures plus tard.

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