C’était écrit

Chapitre 59

 

« Décidément Vimpany, vous avez eu desremords et vos plans sont à vau-l’eau, hein ? dit un jour lordHarry à brûle-pourpoint à son mauvais génie.

– Moi ! des remords ! s’écriale docteur. Mille tonnerres ! pour qui meprenez-vous ?

– L’état de votre malade s’améliore tousles jours, nous ne pouvons plus nous dissimuler qu’il va guérir. Jecraignais, je pensais, veux-je dire, que vous ne voulussiezl’empoisonner ? dit-il en baissant la voix.

– Ainsi donc vous me croyiez capable decommettre un crime inutile et bête. Que faire, bon Dieu ! avecune garde-malade soupçonneuse comme une chatte, clairvoyante commeun lynx ! L’amélioration qui s’est produite renverse tous mescalculs. Après avoir vu les forces du malade revenir, Fannys’empressera d’attester qu’il a reçu les meilleurs soins. Vous nevoyez donc pas, que c’est nous, au contraire, qui lapincerons !

– Vous êtes prodigieux, Vimpany ! Jedirai même que vous l’êtes trop pour moi, parfois. Et, qui sait,peut-être trop aussi pour vous.

– Merci, mon cher, merci et trêve decompliments. Maintenant, après tout ce que j’ai vu, la premièrechose à faire est de nous débarrasser de Fanny. Ce gredin de Danoisreprend du poil de la bête,… il faudra que ça finisse… Mon prochainmalade sera milord lui-même,… oui, milord, en chair et en os !comprenez-vous ?

– En partie.

– Suffit. Avant d’exécuter mon nouveauplan, vous en saisirez toutes les phases successivement ;…bref, la première chose à faire, je le répète, c’est de nousdébarrasser de Fanny ; convenu, adieu ! »

Sur ce dernier mot, l’on se sépare. De toutcela il ressort, que c’est au docteur d’agir. Quel est son rôle àlui, lord Harry,… un rôle secondaire,… un rôle muet,… un rôle decomparse !… Toutefois, ce complot, cet homme mourant ou à peuprès, cette substitution, chiffonnent singulièrement sa conscience.Il éprouve le besoin de relire le passage suivant de la dernièrelettre de sa femme :

« Puis-je espérer, à mon retour,retrouver en vous celui à qui j’ai voué amour, confiance etrespect ? »

Cinquante fois par jour, il tirait de sa pochece petit morceau de papier : après tout, se disait-il, cen’est pas mon affaire, mais celle du docteur.

Puis, il songeait à Hugues Montjoie et sedisait avec effroi qu’Iris allait faire la comparaison entre sonmari et son ami, laquelle serait sans nul doute à son désavantagepersonnel ; une pareille réflexion le troublait jusqu’au fondde l’âme. Sans doute, cet homme se faisait adorer par son respect,son dévouement et son amour !

Puis, sans Iris, sa maison lui semblait d’unetristesse poignante. Il résolut d’écrire à sa femme et voici enquels termes il épancha son cœur, mais non sa conscience.

« À moi seul incombe la responsabilité denotre séparation. Hélas ! c’est mon abominable conduite qui enest cause. Pardonnez-moi, ma bonne et chère Iris, je vous en prie,si je vous ai rendu la vie en commun intolérable, sans vous, ellem’est odieuse. Je suis plus puni que je ne saurais le dire. Lamaison est mortellement triste, les heures mortellement longues, lavie mortellement pénible ! Une chose augmente encorel’amertume de ma peine, c’est que je n’ai pas le droit de meplaindre. Au contraire, je devrais me réjouir à la pensée que cetteséparation a été pour vous une délivrance. Je n’ose vous demanderde revenir (il avait de bonnes raisons pour cela), mais je veuxespérer contre toute espérance que l’avenir me réserve des joursmeilleurs. Le pardon sied aux grandes âmes ;… puissiez-vouscroire à mon repentir. »

Il adresse cette lettre à lady Harry Norland,aux soins de M. Hugues Montjoie à son hôtel à Londres ;il eut soin de transformer son écriture. De cette façon, la lettreparviendrait à sa destinataire et il va sans dire qu’il espéraitrecevoir une réponse selon ses vœux. Ce pli jeté à la poste, lesauvage lord rentre chez lui, le cœur soulagé d’un grandpoids : bientôt sa femme lui reviendrait.

Il entre dans la chambre du malade ;Oxbye assis sur son lit, devisait gaiement : c’était, à coupsûr, la meilleure journée qu’il eût eue depuis fortlongtemps ; le docteur occupait une chaise près de lui ;Fanny debout, calme, sérieuse, était tout yeux, tout oreilles.

« Vous allez décidément mieux, dit ledocteur en s’adressant à Oxbye et d’ici un ou deux jours, vousaurez la clef des champs. »

Sur ce, il ausculte son malade avec uneattention extrême, puis, déclare que l’amélioration a dépassétoutes ses espérances. Il prend des notes et ajoute d’un tondoctoral : « Il faudra bien qu’ils se rendent àl’évidence, là-bas,… à l’Hôtel-Dieu !

– Comment vous exprimer toute mareconnaissance, docteur, pour les bons soins dont vous m’avezcomblé ! les paroles me manquent, balbutia le patient.

– Un médecin n’est bon qu’à cela, monami ; la science s’est faite homme pour veiller à votrechevet ; vous n’êtes pas Oxbye, vous êtes un cas et un castrès intéressant, une machine détraquée qu’il faut remettre enétat. Pour cela, nous examinons chaque pièce une à une, à la loupepour ainsi dire. Croyez-vous qu’il puisse se tenir debout ?demanda-t-il en s’adressant à la garde-malade. Si nous le levionspour le mettre à même d’essayer ses forces ? »

Le docteur aide le malade à sortir de sonlit ; puis il le soutient sous l’aisselle ; Oxbyeparvient, avec quelques bronchades, à jeter un coup d’œil au jardinpar la fenêtre.

« Cela suffit, pour aujourd’hui, ditVimpany d’un ton paternel. Demain, il se lèvera tout seul. Ehbien ! Fanny, vous rendez-vous à l’évidence ? »

Sa façon d’interpeller la garde-maladelaissait sous-entendre :

« Vous avez voulu donner vos soins à cethomme pour percer à jour mes menées diaboliques et déjouer mescalculs. Or, qu’avez-vous à me reprocher ? »

Fanny répondit que M. Oxbye allait à coupsûr beaucoup mieux et qu’il avait repris bonne mine depuis sonarrivée à Passy.

Le ton de ces paroles était dépourvu deconviction ; donc, on pouvait douter que le diagnostic dudocteur eût éclairé ou non la garde-malade. Il lisait dans sespensées comme dans un livre ouvert. Toujours est-il qu’elledemeurait convaincue qu’on lui cachait quelque chose,… quelquechose, en effet, qu’elle ne devait pas savoir. L’histoire d’uneexpérience à tenter, en amenant le Danois à Passy, l’avait toujourslaissée incrédule ; elle s’attendait à le voir mouririmmédiatement, pour ainsi parler, et en cela, elle se trompait. Aucontraire, il s’acheminait vers la guérison ! Avant peu, ilaurait recouvré force et santé. Quelle part revenait au docteurdans cette cure ? était-il vrai qu’une expérience scientifiquefût le seul but que l’on poursuivait ? s’il se fût agi d’unautre individu que le docteur Vimpany, c’eût été tout différent.Mais il est des natures que l’on juge à la rigueur en touteoccasion et pour cause. Si les faits parlent en leur faveur, onsuspecte quand même leurs intentions. Nombre de femmes connaissentou s’imaginent connaître un homme qui semble être, comme ledocteur, foncièrement mauvais. Que pouvaient se dire lord Harry etle docteur, pendant leurs longs tête-à-tête se parlant de bouche àoreille. Ce soir-là, le tentateur dit à l’autre que le moment étaitvenu de faire maison nette ; la santé du Danois s’améliorantrapidement, une garde-malade devenait inutile. À quoi bon laconserver ? elle n’a aucune raison de concevoir dessoupçons ; maintenant qu’elle a constaté les bons effets demon traitement, sur un homme condamné par la Faculté, elle sait àquoi s’en tenir. Parbleu ! que demander de plus ?rien !

« Est-ce bien là tout ce qu’elle aura àdire à ma femme ? demanda lord Harry.

– Absolument tout, repartit vivement ledocteur. Elle est horriblement désappointée de n’en savoir pasdavantage. Elle me déteste, mais sa colère est encore plus fortepar rapport à vous.

– Pourquoi ça ?

– Parce que lady Harry vous aimeencore ; or une femme de cette nature veut monopoliser toutel’affection de sa maîtresse. Vous hochez la tête. Notez bien,cependant, que c’est une personne vulgaire et de basse extraction.Comment peut-elle, dans ces conditions, concevoir une amitié ou,pour mieux dire, une passion pour un être qui lui est sisupérieur ? Pourtant, c’est un fait, et rien n’est brutalcomme un fait. Que de servantes de ce tempérament ressentent uneaffection désespérée, mêlée de jalousie à l’égard de leurmaîtresse ! La vérité vraie, voyez-vous, c’est que Fanny Mireest jalouse et jalouse de vous. Oui, croyez-le, c’est une aversioninsurmontable qu’elle ressent contre vous ! Elle donneraittout au monde, pour avoir en main la preuve que vous avez trempédans des actes répréhensibles.

– D’accord, c’est un démon, dit lesauvage lord, mais peu m’importe qu’une servante me haïsse ounon !

– On reconnaît bien làl’aristocrate ! s’écria le docteur ; rappelez-vous quepour être servante on n’en est pas moins femme !Parbleu ! ceux qui vous ont élevé, ont eu à cœur de vousprouver que les gens à gages ne sont ni hommes ni femmes. Erreur,Fanny Mire est une femme, bien femme, mais de race inférieure. Quelest l’être, en ce bas monde, qui ne soit capable de faire dumal ? C’est une puissance que l’on nous a octroyée à tous, et,en réalité, c’est la seule égalité qui existe. Qu’est-ce àdire ? soit une détonation dans l’obscurité ; soit uneallumette que l’on frotte ; soit une accusation fausse ;soit la diffamation ; soit le vitriol, rien n’est plusdangereux que la haine d’une femme ; ah ! c’est bienautre chose que celle d’un homme ! Oui, l’excellente et fidèleFanny, toute dévouée qu’elle soit à lady Harry, ressent plus demépris pour vous, que la charmante Mme Vimpany n’ena pour moi. Cela suffit. Demain, ce sera fini ; lagarde-malade laissera le Danois en bonne voie de guérison. Dumoins, tel sera le rapport qu’elle fera et l’impression qu’elleemportera. »

Le docteur entra le lendemain de meilleureheure que de coutume chez son malade.

« Vrai, dit M. Vimpany après lesquestions d’usage, cela va encore mieux que je ne le pensais. Vousêtes de force à vous lever ; vous pouvez vous habillerseul ; maintenant, dit-il, en se tournant du côté de Fanny,vos services ne sont plus nécessaires. Je vous remercie, pour mapart, des bons soins que vous avez donnés à M. Oxbye. Si vousdésirez jamais devenir garde-malade de profession, vous pouvezcompter sur mon appui. J’ajoute même qu’une partie du succès del’expérience que j’ai tentée vous revient.

– Quand dois-je quitter la maison ?demanda Fanny.

– Dans d’autres circonstances, je vousaurais dit de prendre du temps. Mais lady Harry, après avoirregretté de vous voir partir, sera très satisfaite de jouir de vosservices le plus tôt possible. Quand serez-vous prête àpartir ?

– Dans dix minutes s’il le faut ?répondit Fanny.

– C’est-à-dire que vous pouvez prendre letrain du soir, via Dieppe et Newhaven, à 9 heures 50minutes. Il suffira que vous partiez d’ici vers 7 heures. Vous vousinformerez, bien entendu, près de lord Harry, s’il a descommissions pour sa femme.

– Avec votre permission, je partirai aucontraire sur-le-champ, de façon à avoir une journée entière àpasser à Paris.

– Comme vous voudrez,… comme vousvoudrez », répéta le docteur, intrigué de savoir ce que cettefemme pouvait avoir à y faire.

Le fait est que le malade n’était pour riendans cette décision.

Le docteur, après avoir promis à M. Oxbyede revenir dans deux heures, va s’asseoir au jardin, non loin de laporte cochère, de façon à ne pas manquer le départ de FannyMire ; bientôt, en effet, elle reparaît son bagage à lamain.

« Adieu, Fanny, je vous réitèremes remerciements, car vos bons soins ont déjà reçu une récompensequi dépasse tout ce que l’on pouvait espérer.

– Merci, docteur ; M. Oxbye esthors d’affaire, je le crois comme vous, et il peut en effet sepasser de moi.

– Cette valise est trop pesante pourvous, Fanny ; je suis fort comme un Turc, têtu comme une muleet j’entends porter votre petit bagage jusqu’à la gare. »

Inutile de refuser, se dit Fanny, il tient às’assurer de mon départ.

Le docteur, de son côté, pensait à partlui :

« Le moment est enfin arrivé de mettremon plan à exécution. »

Oui, désormais il avait le champ libre.

Le lendemain, à onze heures, lorsque lordHarry entra dans la salle à manger pour déjeuner, le docteurl’aborda en disant :

« Quelle délivrance, elle estpartie !

– Partie ? répéta soncomplice ; me voilà seul dans cette maison avec vous et…

– Le malade,… qui n’est autre quevous-même comme vous savez, milord. »

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