C’était écrit

Chapitre 71

 

« J’aimerais à me faire planteur, ditlord Harry, pendant qu’Iris ouvrait le cahier envoyé par Fanny et,après toutes mes aventures, me livrer à l’agriculture. Les jours demarché, nous irions en ville ensemble, dans une carriole :vous avec un panier de beurre frais et de fromage à la crème ;moi avec des échantillons de grain. Ce serait l’idéal ! Nousdînerions à table d’hôte après quoi, tout en fumant ma pipe, jediscuterais le prix des céréales, les chances de beau temps ou depluie. On finirait bien, je pense, par nous oublier et nouscontinuerions à vivre, tout en passant pour morts et enterrés. Dansles romans, les gens ressuscitent longtemps après qu’on les croitnoyés, disparus, expatriés ; mais nous, ma chère petite femme,nous reviendrons au pays natal, quand nous serons vieux. Quelbonheur de pouvoir faire encore des projets !

« Je me sens tout heureux ce soir, Iris,plus heureux que je ne l’ai été depuis des mois. Je n’aime pas à meplaindre, mais vrai, je me suis ennuyé ici à avaler ma langue.

« Je sais que vous êtes pessimiste ;moi, par contre, je suis optimiste. Soyez tranquille, Iris, toutest engouffré dans l’abîme sans fond du passé… Non,… non, ce qui aété fait, ne saurait être découvert. Pas une âme ne connaît ledocteur et, entre lui et nous, nous élèverons une digue d’or… Maisciel ! Qu’avez-vous donc, ma chère ? »

En effet, elle était devenue hâve, en écoutantle monologue de son mari ; le papier qu’elle tenait tremblaitdans sa main. Elle jette sur lord Harry un regard d’horreur.

« Qu’est-ce à dire ?s’écrie-t-il.

– Oh ! est-ce possible !… MonDieu ! mon Dieu !

– Quoi ? fit lord Harry en se levantdroit. Est-ce découvert ?

– Oui, tout est découvert !

– Par qui ? Passez-moi lemanuscrit ; que sait-on, dites ? »

Il veut prendre le cahier des mains de safemme, mais elle recule sa chaise comme pour fuir le contact d’unêtre immonde.

Il lit le manuscrit d’un bout à l’autre, puisle rejette.

« Eh bien ! fit-il sans lever lesyeux.

– Le Danois a été empoisonné… »,murmure Iris.

Lord Harry reste muet ; ellepoursuit :

« Vous étiez présent,… vous avez laisséfaire,… vous n’avez pas protesté,… vous êtes un criminel.

– Je n’ai pas pris part au crime,…j’ignorais que ce fût du poison…

– Vous saviez tout,… la victime étaitsous votre toit,… vos mains étaient rouges de sang… Ciel !lorsque vous m’avez renvoyée de chez vous, c’était pour me… Là,elle s’arrête suffoquée.

– Je n’avais pas de certitudespositives,… il est venu ici malade,… je le croyais mourant. Or sonétat, au lieu de s’aggraver, s’améliorait tous les jours. Après ledépart de Fanny, au moment où le docteur donna une potion aumalade, je fus seulement pris de doutes ;… quand il mourut,mes soupçons augmentèrent encore,… je l’accusai,… il n’eut garde dese disculper. Croyez, Iris, que je ne suis pour rien dans cettehorrible combinaison, et que j’ignorais les desseins criminels dece chenapan.

– Vous avez laissé faire ;…autrement, vous eussiez menacé le meurtrier de le dénoncer, au casque le Danois viendrait à mourir… Vous avez compté tirer parti ducrime, et vous n’avez même pas reculé à faire de moi votrecomplice ! Oui, j’ai participé à un meurtre,…horreur !

– Non,… Iris, rien ne peut établir quevous y avez participé, ni préméditation, ni antérieurement, nisubsidiairement, ni postérieurement ; personne ne peut vousimpliquer dans cette affaire.

– Vous ne comprenez pas : c’est unepartie de l’accusation que je me fais à moi-même.

– Quant au récit de cette femme, repritlord Harry, je n’ai garde de le nier. Cachée derrière le rideau,elle a pu tout voir, tout entendre. Oh ! si Vimpany l’eûtpincée ! Il avait raison, il n’est rien d’aussi dangereuxqu’une femme ;… au demeurant, elle n’a fait que raconter lavérité. Nous aurions dû la congédier, pardieu ! et changer nosplans. Voilà l’inconvénient d’être par trop habile.

« Le docteur tenait à toute force que leDanois meure. Il espérait, nous espérions qu’il mourrait d’une mortnaturelle, toutes nos prévisions ont été déçues. Or, sans lecadavre, nous avions les mains liées. Désormais, Iris, je ne vouscacherai jamais rien,… rien. Je savais que son existence, n’étaitqu’une question de temps ; soudain, il a paru aller mieux, sesforces revenaient,… je me demandais, la mort dans l’âme, commentcela finirait, sachant pertinemment que le docteur ne consentiraitpas à lâcher sa proie… Où se serait-il procuré un autrecadavre ? On ne peut ni en voler ni en fabriquer ? Lamort ne saurait être confirmée que par la mort. Je savais, ajoutale sauvage lord, d’une voix sinistre, qu’il devait mourir ; aucas où Oxbye eût recouvré la santé, il n’y avait plus d’argent pourtenter une nouvelle expérience. Puis, arriva un moment, où je fussaisi d’une terreur mortelle ;… j’aurais tout donné, je vousl’affirme, pour voir le malade se lever et s’en aller,… mais ilétait trop tard !

« J’ai vu le docteur préparer la potionfinale et le patient la porter à ses lèvres ; j’ai lu dans lesyeux du criminel que c’était le coup de la mort… Voilà, maconfession, Iris, vous savez tout.

– Je sais tout ! mon Dieu, ayezpitié de moi ! Je comprends ce que j’ai à faire, fit-elle, lesyeux hagards, les mains crispées, le visage livide.

– De grâce, Iris, ne modifions pas nosplans ;… partons ensemble,… oublions le passé,… dit le sauvagelord d’un ton suppliant.

– Moi partir ? partir avecvous ! » articula Iris avec un frisson, puis elle seprend le front à deux mains, comme dans une grande détresse.

« Je vous ai tout dit,… je deviendrai fousi cela continue,… ayez pitié de ma faiblesse,… pardonnez-moi.

– Vous pardonner ! Il n’est pasquestion de pardon. D’abord, qu’est donc le pardon d’unemalheureuse comme moi ? Un crime horrible, abominable,exécrable a été commis… Un de ces crimes qui font que non seulementon se demande, en en lisant le compte rendu dans les journaux,comment il se trouve des bêtes féroces pour les commettre, maisaussi à quelle espèce d’êtres appartiennent les femmes quipartagent la vie de ces monstres ; or mon mari est un homicideet je suis sa digne moitié ! Quelle honte ! C’estseulement maintenant, que je sens que l’amour aveugle m’aperdue ? Je vous ai aimé passionnément, Harry, et c’est là monmalheur ! Je vous ai épousé contre la volontépaternelle ; je reçois, à l’heure qu’il est, la récompense dema folie. Ah ! que l’on a raison de dire que la vérité est unequestion d’années ;… quelle est notre vie ? celle demisérables dont la conscience est bourrelée de remords. Si l’onvenait à nous découvrir, nous serions pendus haut et court !Dire que la potence est la fin qui attend lord et ladyHarry !

– Je n’ai jamais joué le rôle d’unhypocrite près de vous, Iris, je n’ai jamais prétendu à des vertusque je ne possède pas,… loin de là !

– Désormais, je vous interdis dem’adresser la parole ;… moi j’ai encore une chose à vousdire,… ma raison s’égare,… attendez… »

Sur ce, elle se laisse tomber sur un sofa etéclate en sanglots convulsifs. Puis, elle se lève, essuie seslarmes du revers de la main et reprend :

« Ah ! j’aurai le temps de pleurerquand tout sera fini. Harry, écoutez-moi, ce sont mes dernièresparoles : vous n’entendrez jamais plus parler de moi… vousêtes libre de vivre où bon vous semblera,… l’exigence la plusinsensée ne saurait m’imposer de rester sous votre joug,… jeretournerai en Angleterre,… seule,… je renoncerai à votre nom pourreprendre le mien ou un autre. Quant à l’argent que j’ai touchépour vous indûment, je le restituerai à la compagnie…intégralement.

– Mais on vous poursuivra,… ah ! cesont là des mots, des phrases, vides de sens,… il n’y a pas deréparation possible, quand il y a du sang versé. Parlez-voussérieusement ? demanda Harry d’un ton bref.

– Très sérieusement.

– Vous comptez réellement faire ce quevous dites ?

– Certainement. Je ne dirai rien quipuisse vous trahir, mais cet argent que je peux rendre, je lerendrai.

– C’est là tout ce que vous aviez à medire ?

– Tout.

– Alors, laissez-moi une fois encoreconsidérer votre visage… Oui, Iris, je vous ai aimée,…passionnément aimée ; mais il eût mieux valu pour vous êtrefoudroyée que de devenir lady Harry. Après tout, vous avez raison,Iris, votre devoir vous est clairement tracé ;… moi jeréfléchirai, je verrai où est le mien ;… adieu. Les lèvresd’un criminel ne sauraient effleurer le bord de vos vêtements.Adieu ! »

Ceci dit, il s’éloigne… Elle entend ouvrir etfermer la porte. Jamais plus elle ne devait revoir son mari. Ellerentre dans sa chambre, enfouit dans un sac de nuit les chosesnécessaires à son départ, appelle la servante et la prévientqu’elle est obligée de partir pour l’Angleterre d’abord, et pourBruxelles ensuite. Un commissionnaire porte les bagages à la gareet Iris quitte Louvain et son mari pour toujours.

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