C’était écrit

Chapitre 53

 

Lady Harry garda de pénibles souvenirs du jouroù le docteur avait emmené Fanny Mire à l’Hôtel-Dieu, pour luifaire passer des examens de garde-malade.

Ayant sonné sa femme de chambre, Iris voitapparaître la cuisinière ; laquelle s’excuse, disant que Fannyest sortie.

Plus chagrinée encore que contrariée de cemanque de déférence à ses ordres, lady Harry se borne àdire :

« Dès qu’elle sera rentrée, prévenez-laque j’ai à lui parler. »

Deux heures plus tard, la fugitivereparut.

« Je vous ai refusé tantôt la permissionde sortir, articula lady Harry, et voici deux heures d’horloge quevous êtes dehors ! Vous auriez pu me faire savoir directementque vous avez le désir de quitter mon service.

– Grand Dieu ! une pareilledétermination est à cent lieues de mon esprit, répondit Fanny d’unton respectueux.

– Que signifie votre conduite ?

– Cela signifie, milady, qu’un devoir àremplir m’a mise dans l’obligation d’enfreindre vos ordres.

– Quoi, une affairepersonnelle ?

– Pardon, milady, il ne s’agissait pas demoi.

– De qui alors ?

– De milady. »

Au même instant, lord Harry fait irruptiondans la pièce ; la présence de Fanny le décide à battre enretraite et il dit à sa femme :

« Je vous croyais seule ici, Iris ;je reviendrai plus tard, pardon. »

Une pareille concession faite à une servanteétait tellement en dehors des habitudes du sauvage lord, que safemme, jetant un regard significatif du côté de Fanny celle-ci seretire immédiatement, et Iris s’empresse de le rappeler.

« Vrai, je tombe des nues ! dit-elleà lord Harry, dès qu’ils furent seuls ; à quoipensez-vous ? »

Alarmée de l’expression hagarde de son mari,elle ajouta :

« Est-il arrivé un événement si grave, siimprévu, si terrifiant que vous n’osiez me le dire ?

Il s’assit près d’Iris, lui prit la main et laregarda d’une manière qui impressionna beaucoup la jeune femme.C’était de la défiance plutôt que de l’amour, mais pourtant avec uncertain désir de conciliation.

« Je crains de vous causer une nouvellesurprise, balbutia-t-il.

– Qu’est-ce à dire ?… De grâce,…parlez ?

– Il s’agit de Vimpany »,répondit-il en grimaçant un sourire.

Alors, Iris retirant sa main, reprit :« Ah ! je comprends… vous avez à me faire unecommunication qui menace de mettre ma patience à l’épreuve.

– Encore une fois, Iris, votreimagination va vous faire prendre des mouches pour des éléphants,comme on dit. Au total, ce n’est rien d’aussi grave que vous lepensez, il s’agit tout simplement d’un petit changement…

– Un petit changement, vous dites ?demanda Iris avec vivacité.

– Eh bien, ma chérie… »

Il y eut un moment de silence, soninterlocuteur dut prendre sur lui avant d’ajouter :

« Je veux dire que les plans de Vimpanyse sont modifiés, en ce sens, qu’il renonce à avoir sa chambreici.

– Ouf ! s’écria Iris, les veuxbrillants de joie. Quelle délivrance, enfin ! Ce n’est pas unemauvaise plaisanterie, autrement, je me fâche sérieusement.Ah ! quel plaisir j’aurai à aller aérer, ce soir, la chambredu docteur après son départ ! »

À cet instant, lord Harry se lève et se dirigedu côté de la fenêtre. Iris sait, par expérience, que c’est, chezlui, l’indice d’un certain embarras ; elle le suit ;évidemment il n’a pas tout dit ! D’un ton d’amère résignation,elle reprend :

« Continuez, Harry.

– Ce soir, ma chère, ce seraimpossible…

– Pourquoi cela ?

– Par la raison que cette même chambresera occupée.

– Ah ! par l’un de vos amis sansdoute ?

– Vrai, je suis ici comme un homme devantun juge d’instruction, habile à fouiller la conscience d’autrui.Non, mon beau juge ; il ne s’agit d’aucun de mes amis.

– Alors de ceux du docteur ? »interrogea Iris.

Pour rompre les chiens, lord Harry reprit avecvolubilité :

« Quelle belle journée ! si nousdescendions dans le jardin ?

– Remarquez que vous avez omis derépondre à ma question ? dit lady Harry avec insistance.

– Excusez-moi, ma chère, mais je pensaisà autre chose. J’étais sorti, comme on ditaujourd’hui. »

Sans changer de place, Iris reprit :

« Je veux savoir si, oui ou non, lachambre de M. Vimpany doit être de nouveau occupée ;veuillez répondre catégoriquement à ma question ?

– Eh bien ! si je vous disaisqu’elle doit être occupée par l’un de ses clients, vous sauriez lavérité, riposta le sauvage lord du ton de l’impatience.

– Allons donc ! fit-elle de l’air leplus naturel du monde. Un vrai malade ?

– Oui, et même très malade.

– Un homme, une femme ? interrompitIris.

– Un homme.

– Un Anglais ?

– Il sort de l’Hôtel-Dieu ;votre interrogatoire est-il fini ? »

Iris fait quelques pas, puis elle se laissechoir dans un fauteuil. L’étrange communication que son mari vientde lui faire, l’a frappée de stupeur. Son amour pour lord Harry, saconnaissance intime de son caractère, sa faculté de percer à jourses pensées, auraient dû faire deviner à Iris la vérité ;spéculant, raisonnant, doutant, elle le considère avecangoisse.

Le sauvage lord, immobile à la fenêtre, lesbras croisés, le dos tourné au jardin, regarde sa femme avec desyeux comme illuminés par l’attente. Que va-t-elle dire ?

« Je ne comprends pas, je l’avoue, repritla jeune femme, la concession que vous faites à M. Vimpany,encore un coup, veuillez vous expliquer ? »

Mais lord Harry se demande si sa femme,connaissant le docteur comme elle le connaît ajoutera foi auxcontes qu’il a réussi à imposer à la crédulité des médecins del’Hôtel-Dieu. Toujours est-il que lord Harry se décide àtenter l’expérience, le résultat, quel qu’il puisse être, mettra unterme à la responsabilité qui lui incombe en ce moment, et quil’écrase. Au contraire, s’il échoue, il n’aura plus rien à dire,rien à faire, ce sera fini. Un sourire éclaire son visage, il faitune pose, puis, tout à coup, il s’écrie :

« Quelle femme extraordinaire vousêtes ! Je viens ici avec l’intention bien arrêtée de vous direquelque chose et il faut que ce soit vous qui remettiez de l’ordredans ma mémoire ; c’est trop fort ! Voyons, donnez-moi unbaiser et je commence mes explications, veuillez seulement ne pasoublier que c’est de Vimpany qu’il s’agit. »

Enfin, le moment terrible de tout dire estarrivé. Lord Harry s’exécute. Il raconte l’histoire inventée par ledocteur, histoire qui produit sur son interlocutrice un effetauquel il était à cent lieues de s’attendre. À mesure qu’Irisl’écoute, son visage prend une expression plus douloureuse, le sangparaît se figer dans ses veines, quand il a fini, elle garde unsilence mortel. La voyant changer de couleur, il comprend qu’unpressentiment sinistre l’envahit.

Si la cervelle de lord Harry n’eût été aussilégère que celle d’un oiseau, s’il eût eu conscience de la relationentre les effets et les causes, et l’impression ressentie par safemme ne l’eût rien moins que surpris.

Prétendre lui faire croire à elle, qu’uncharlatan sans foi ni loi comme Vimpany avait fait en médecine unedécouverte de la plus haute importance, prétendre lui faire croire,à elle, qu’un des malades de l’Hôtel-Dieuallait devenirsans motif plausible l’hôte de lord Harry, prétendre, enfin, luifaire croire à elle que c’était une concession faite au docteur parpure amitié, après que lord Harry avait exprimé à Iris tous sesregrets de l’avoir invité à descendre chez lui une seconde fois,c’était trop fort ! Comment s’imaginer qu’une femmeintelligente prendrait ainsi au pied de la lettre cette fablemonstrueuse.

Soudain, la crainte d’un noir complot s’étaitemparée de l’esprit de lady Harry ; son attitude trahissaitses sombres pensées.

« Si cet exposé de la situation voussuffit, Iris, n’en parlons plus, ajoute lord Harry d’un tonpenaud.

– C’est convenu », dit-elle d’unevoix grave.

En ce moment, l’idée de se trouver dans lamême pièce et de respirer le même air, qu’un individu aussieffrontément menteur que son mari, causa une sorte de nausée à ladyHarry. Puis, se rappelant l’invitation qu’il lui avait faite dedescendre dans le jardin, elle reprit :

« Allons respirer l’odeur desfleurs ; vous me l’avez demandé, j’accepte. »

Tous deux arpentent les allées et se rongentle cœur ; elle d’effroi, en regardant cet imposteur ; luide crainte, en lisant son secret dans les yeux de sa femme. Pendantqu’Iris regarde une fougère, au feuillage flétri, lord Harrys’esquive et le docteur, marchant à la muette, s’approche comme unvoleur de lady Harry.

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