C’était écrit

Chapitre 74

 

Lord Harry s’embarque pour Dublin ;arrivé là, il se rend à un petit hôtel fréquenté uniquement par desIrlandais américains qu’on soupçonnait d’être le rendez-vousdes Invincibles. Sans chercher à dissimuler son nom, ilentre dans l’hôtel, salue d’un air gai le maître d’hôtel et même ledomestique, ordonne son dîner sans faire attention aux regardssombres et de mauvais aloi que lui jettent une demi-douzained’individus qui causent à voix basse.

Après avoir passé la nuit à l’hôtel, lordHarry se dit qu’il n’a rien à craindre ni de l’Irlande ni del’Angleterre et se dirige vers la gare ; prend un billet sansprêter la moindre attention à ce qui aurait frappé tout le monde, àsavoir qu’il est suivi par un homme de la police. Dès qu’il eut sonbillet, deux individus en prennent à leur tour pour la mêmelocalité que lui ; il se rend dans cette partie du Kerry oùles Invincibles avaient assassiné Arthur Montjoie.

Les deux voyageurs qui montent dans le mêmecompartiment que lord Harry, étaient membres de l’associationdes Invincibles, laquelle avait décrété que celui qui,après avoir fait partie de cette société, en désertait les rangs,ou désobéissait à ses statuts, à ses lois, ou révélait ses secrets,était puni de mort.

Aussitôt l’on convoque une réunion des membresde l’association alors présents à Dublin ; à l’unanimité, l’onvote de faire disparaître le traître. On tire au sort, et, ôsurprise ! l’individu désigné pour accomplir la terriblebesogne est un obligé de lord Harry ! Il se fut volontiersrécusé, mais les règlements sont inexorables !

L’un des articles de la société ordonne defaire suivre celui qui doit perpétrer le crime, afin de s’assurerqu’il accomplit sa tâche.

Une heure environ avant le coucher du soleil,le train arrive à la station où lord Harry descend ; le chefde gare le reconnaît et le salue : les deux autres voyageursle suivent et le sauvage lord pâlit.

« Je laisserai ma valise, dit lord Harry,dans la salle des bagages ; on viendra la prendre. »

Le chef de gare se rappela plus tard cedétail. Lord Harry ne dit pas : je viendrai maison viendra la prendre ; paroles fatidiques !

Une pluie froide tombe ; le jourbaisse : lord Harry quitte la gare ; il longe, d’un pasaccéléré, une route déserte et boueuse.

Les deux individus le suivent ; l’un detrès près, l’autre à une certaine distance ; le chef de gareles regarde aussi longtemps que son service le lui permet, puis ilsecoue la tête et rentre dans son bureau. Lord Harry sait qu’il estfilé : bientôt il a conscience que l’un de cesespions presse le pas : lui, continue à marcher à la mêmeallure, mais sa pâleur ne fait que croître ; il sait qu’il vaà la mort ! Il ne tourne pas la tête ; il se senttraqué.

« Micky O’Flynn ! s’écrie lord Harryà l’individu qui l’a rattrapé.

– Traître ! riposte l’autre.

– Ce sont les frères et amis desInvincibles, qui vous ont dit cela. Croyez-vous que je ne saispas à quelles fins vous êtes ici ? Je suis sans armes ;vous, vous avez un revolver ; pourquoi ce temps d’arrêt ?allons ! faites feu !

– Je ne puis…

– Il le faut. Micky O’Flynn,… il le faut,ou vous serez tué ! Pourquoi, bon Dieu !hésitez-vous ?

– Je ne puis », répéta-t-il les yeuxécarquillés. Puis, soudain, il fait un sursaut et s’écrie :« Regardez,… regardez derrière vous, milord ». Celui-cise retourne et s’écrie :

« Le meurtrier d’Arthur Montjoie !Une, deux détonations retentissent, les employés de la garetressaillent, ils ont compris la signification de ces coups de feu.Il y a un meurtre de plus sur la conscience de l’Irlande !

Lord Harry est étendu sans vie au milieu de laroute. Le second individu porte nerveusement la main à sa gorge ets’écrie :

« Le diable m’emporte ! si je ne mesuis pas cru étranglé. Allons Mick, aide-moi à le porter sur lebord de la route. »

Ce qui fut dit fut fait. Après quoi ilss’éloignèrent, les larges bords de leur chapeau baissés sur lesyeux. Une heure plus tard, deux agents de police arrivent àcheval ; ils avisent le cadavre gisant sur le sol ; ilss’approchent, fouillent ses poches, y trouvent, outre plusieurspièces d’or, un portrait de la femme de la victime, une enveloppecachetée avec cette suscription : Hugues Montjoie esq, HôtelX, à Londres, plus un calepin.

« Harry Norland ! dit l’un.Ah ! le sauvage lord a enfin trouvé la mort ! »

Voici le contenu de sa lettre àIris :

« Adieu ! je ne saurais échapper àla haine des Invincibles. Ils ont décrété la mort de celuiqui a déserté leurs rangs. Hélas ! il est une autre plus noblecause que j’ai trahie également ! Puisse la fin qui m’attendservir d’expiation à mon passé ! Pardonnez-moi, Iris, pensez àmoi avec indulgence. N’oubliez pas que l’on accorde toujourssatisfaction aux paroles d’un mourant : Eh bien ! je vousdemande de ne pas porter le deuil de celui qui a tout fait pourempoisonner votre vie et perdre votre âme ! »

Voici le contenu de la secondelettre :

« Je connais l’affection que vous aveztoujours témoignée à Iris ; je ne sais si elle jugera à proposde vous parler de son mari. En tout cas, dites-vous que c’est unscélérat et vous serez encore au-dessous de la vérité. Ce qu’elle afait, je lui ai fait faire : je suis seul coupable. C’est vousqu’elle aurait dû épouser, et non le sauvage lord !

« Une mort imminente m’attend ;… lesdeux individus chargés de me ravir l’existence sont sous le mêmetoit que moi ;… peut-être me tueront-ils cette nuit ici ouailleurs… En présence de la mort, je m’élève au-dessus desmisérables sentiments de jalousie que jadis j’ai ressentis contrevous. Je vous prie de ne pas m’en garder rancune :efforcez-vous de faire oublier à Iris le seul acte de sa vie quidoive lui inspirer des remords.

« Quand vous lui aurez pardonné,pardonnez-moi. Me fiant à votre délicatesse et à votre chaudeamitié pour elle, je termine en disant : rendez-la heureuse,et chassez de votre souvenir le malheureux.

« LORD HARRY. »

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