C’était écrit

Chapitre 39

 

Le docteur ayant suivi lord Harry dans lesalon, celui-ci prononça ces mots d’une voix anxieuse :

« Où donc est ma femme ?

– Lady Harry est dans sa chambre »,riposta Fanny Mire.

Tout en suivant le sauvage lord, qui sedisposait à quitter la pièce, elle dit à l’oreille de Hugues :« C’est le moment de vous débarrasser du docteur ».

Vimpany, les mains dans les poches, le frontsoucieux, se tenait accoudé sur le rebord de la fenêtre ouverte.Montjoie, voulant saisir l’occasion de mettre son plan à exécution,l’aborde en disant :

« Vous paraissez accablé, docteur.

– On le serait à moins, réponditM. Vimpany, la figure crispée de tristesse et de haine.Allez ! vous ne seriez pas plus gai que moi si vous étiez dansma peau. Lord Harry m’avait leurré de l’espoir que j’allais êtreattaché à la rédaction du Continental Herald et l’on vientde lui faire savoir qu’il y a pléthore de collaborateurs. On aajouté qu’à la prochaine vacance,… qu’au premier décès ;…bref, je reviens gros Jean comme devant ; il eût suffi audirecteur de dire : je veux ! mais quoi, il m’a lâché,…lâchement, en se rendant aux raisons d’un subalterne.

– Si je pouvais vous aider à sortir dedifficulté, je suis entièrement à votre disposition, repritHugues.

– Mon Dieu ! après la façon dontvous m’avez congédié lors de notre dernière entrevue, votrebienveillance a de quoi m’étonner ; vrai, les bras m’entombent ; ce n’est pas croyable ! »

Hugues répliqua :

« Je me suis laissé aller à un mouvementd’humeur ; votre jactance m’avait indisposé contre vous, jel’avoue. Les menaces que vous avez proférées en partant, m’ontnaturellement exaspéré.

– Voulez-vous donc me faire rougir dehonte ? demanda le docteur avec emportement.

– Moi ? nullement. Croyez qu’il merépugne autant qu’à vous de manquer aux égards que l’on se doitmutuellement ; nous ne nous sommes pas compris, voilàtout.

– Permettez, reprit Vimpany ; jetiens absolument à revenir sur ce grief rétrospectif qui, à coupsûr, vous a laissé une graisse de cœur contre moi ; sachezdonc, qu’à peine la porte refermée, je me suis repenti de monemportement ; j’étais même tenté en descendant l’escalier dele remonter aussitôt pour vous faire mes excuses. Si je l’avaisfait, qu’en serait-il advenu ?

– Vous m’auriez trouvé, en somme, mieuxdisposé que vous ne le supposiez », ajouta Hugues.

L’axiome : la fin justifie les moyens,lui inspirait une sainte horreur, et bien que les intérêts d’Irisfussent en jeu, il croyait entendre une voix lui reprocher cettecapitulation de sa conscience. En d’autres circonstances,l’hésitation de Montjoie, si légère qu’elle fût, eût dû éveillerles soupçons de son interlocuteur, mais, pour le moment, ce derniern’y vit que le prodrome d’un avenir doré qui l’aveugla.

« Sans doute, dit le docteur d’un airhumble et obséquieux, vous ne voulez pas la mort du pêcheur, maisqu’il vive ! »

Hugues reprit d’un ton discret :

« En admettant que vous eussiez del’argent, qu’en feriez-vous ? »

Avec un homme de cette espèce, inutile, eneffet, de prendre des gants.

« Je retournerais à Londres et j’ypublierais le premier volume du grand ouvrage dont je vous aiparlé.

– Vous quitteriez lord Harry ?

– Lord Harry ne m’est d’aucune utilité,voilà la vérité ; il est presque aussi désargenté que moi. Ilm’avait mandé afin d’avoir les conseils de mon expérience, mais, àcette heure, il les dédaigne. C’est un homme d’affaires par tropchimérique, il faut bien qu’on mange !

– Avez-vous sur vous votre projet detraité avec votre éditeur ?

– Le voici », répondit le docteurvivement.

Même pour un homme riche comme Hugues, lasomme demandée n’était rien moins qu’exorbitante. Lorsque Vimpanyvit Montjoie la plume en main, il eut comme un vertige ;c’était à se demander si les yeux n’allaient pas lui sortir de latête.

« Voyons, si je vous prêtais del’argent…, insinua le tentateur.

– Je vous en aurais une reconnaissanceéternelle, répondit le tenté.

– Je n’y mets qu’une seule condition.

– Laquelle ?

– C’est que la chose restera entre nousdeux.

– Je vous le jure ! » réponditle docteur avec aplomb.

Après quoi, Hugues lui remit un pli, surlequel il venait d’apposer sa signature.

« Tenez, dit Hugues Montjoie, voici unchèque destiné à votre éditeur et à régler votre compte àl’hôtel.

– Ô mon ami, mon bienfaiteur ! monbon génie ! »

Le docteur allait continuer cette antienne,mais son interlocuteur arrête ce torrent d’enthousiasme, en luimontrant du doigt la pendule.

« Si vous avez réellement besoin d’argentaujourd’hui, riposta Montjoie, vous n’avez que le temps de courir àla banque, avant la fermeture des guichets. »

Or Vimpany avait besoin d’argent, très grandbesoin même ! Il allait tâcher d’exprimer ses sentiments dereconnaissance, au moment où Hugues, d’un geste, lui indique dudoigt la direction de la gare.

M. Vimpany venait de faire son derniersacrifice, après quoi il disparut prestement.

La porte était restée entrebâillée.

« Est-il parti ? demande une voix defemme.

– Entrez, Fanny, entrez, répond Montjoie.Le docteur sera à Londres demain.

– Je vais aller m’assurer à la station,s’il prend un billet,… s’il monte en wagon… enfin si le trainfile », dit Fanny.

À peine était-elle partie, que la portes’ouvre toute grande ; lord Harry paraît et dit :

« Je désirerais vous dire un mot.

– À quel propos ? demande Huguesd’un ton interloqué.

– À propos de ma femme », repritlord Harry d’une voix forte.

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