C’était écrit

Chapitre 75ÉPILOGUE

Deux ans se sont écoulés depuis la mort delord Harry. En acceptant la villa que Hugues Montjoie avait mise àsa disposition en Écosse, Iris était résolue à mener une vieignorée et cachée ; trop de gens connaissaient sa tristehistoire. Puis il paraissait plus que probable que lesadministrateurs de la Compagnie d’assurances ne se priveraient pasde deviser sur un scandale aussi extraordinaire. Même au cas oùl’on n’accuserait pas lady Harry de complicité, l’on raconterait lachose dans les plus grands détails avec toutes ses péripétiesémouvantes. Bref, lady Harry n’entendait plus reparaître dans lemonde.

Hugues Montjoie vint voir la jeune veuve dèsque les convenances le lui permirent ; elle comprit fortclairement le but de sa visite ; anticipant sur les desseinsde Hugues, elle l’avertit qu’elle ne consentirait jamais à seremarier après le rôle qu’elle avait joué dans certaine affaireténébreuse. Hugues se borna à incliner la tête, mais il n’encontinua pas moins à vivre dans le voisinage, à faire de fréquentesvisites à Iris, sans jamais, cependant, lui adresser unedéclaration ; toutefois, elle trouvait à sa présence un charmeextrême et les visites de l’après-midi se prolongeaient jusqu’ausoir ; bref, elle finit par prononcer le mot suprême aprèslequel ils ne devaient plus se séparer jamais !

Bien résolus à ne voir personne, ilshabitaient une villa située dans le nord de l’Écosse, non loin del’embouchure de l’Annan, mais sur la rive opposée à la ville quiporte ce nom.

Derrière la maison, s’étend un largejardin ; la façade domine la plage à marée basse et à maréehaute. La bibliothèque est vaste et bien fournie, Iris s’occupe àcultiver des fleurs, promène ses rêveries le long de la mer, lit,travaille, et jouit d’une vie calme, presque somnolente. Elle etson mari causent peu ; ils arpentent les allées du jardin,Hugues un bras passé autour de la taille de sa femme. Ce fut aumilieu de cette vie de repos et d’oubli, que se produisit ledernier événement de cette histoire. Un jour, le facteur remet unelettre à l’adresse de Mme Vimpany ; ellereconnaît l’écriture, tressaille et la cache dans son corsage. Dèsqu’elle est seule, elle en prend connaissance :

« Bonne et tendre créature, je suisparvenu à savoir votre adresse ; pour cela, il m’a suffit dedécouvrir celle de M. Montjoie, je vous félicite de votrehabileté à vous tirer d’affaire. J’en suis moi-même aussi heureuxque si j’y étais pour quelque chose.

« Mon intention n’est point de criermisère, mais nécessité ne connaît pas de loi ; vous mecomprendrez quand je vous dirai que je suis au bout de monrouleau ; la façon dont j’ai dépensé mon argent ne me cause àla vérité aucun regret ; je ne suis sensible qu’à celui den’en plus avoir. Voilà ce qui me déchire le cœur. J’ai égalementappris que lord Harry de triste mémoire et dont j’ai, d’ailleurs,maintes raisons très sérieuses de déplorer la mort, m’a joué untour pendable par rapport à un certain traité que nous avons passéensemble ; il prétendait que sa prime d’assurance était de200 000 francs, tandis qu’elle se monte en réalité à375 000 francs. En retour de certain service que je lui airendu, dans un moment critique, il était entendu qu’il meremettrait la moitié de la prime. Or j’ai touché seulement50 000 francs ! en conséquence, j’ai encore droit àrecevoir 137 000 francs. C’est une grosse somme, mais je saisque M. Montjoie est fort riche. Veuillez lui communiquer cettelettre en tout ou en partie et lui faire savoir que j’entends qu’ilfasse droit à ma demande ; s’il hésite, vous lui objecterezqu’une escroquerie a été commise et que je suis décidé à toutrévéler à la justice. Lorsque mon malade est mort, et sur lesprières pressantes de lord Harry, j’ai consenti à faire à la mairieune déclaration par laquelle c’était lord Harry lui-même qui étaitdécédé et non l’autre ; sur ce, je pris la résolution de fuircet homme infernal et de n’avoir plus rien à faire avec ses plansmachiavéliques.

« Le meurtre de lord Harry, arrivé peuaprès, a suspendu les poursuites auxquelles les administrateurs dela compagnie étaient sur le point de se livrer. Je compte leurfaire savoir l’adresse de la veuve et mettre mon témoignage à leurdisposition. Quoi qu’il arrive, je tiendrai le public au courant detout ce qui s’est passé. Après cela, qu’un procès soit intenté ounon, M. Montjoie et sa femme ne sauraient plus se montrer enpublic. Dites à M. Montjoie que je parle sérieusement, et quedemain je me présenterai chez lui ; il peut donc se préparer àdonner satisfaction à mes réclamations.

« A. V. »

Mme Vimpany laisse tombercette lettre avec dégoût. Il y avait deux ans qu’elle n’avaitentendu parler de son mari. Elle espérait qu’il vivait caché dansun pays éloigné ; or, les progrès de la civilisation ontsupprimé les distances. Des montagnes Rocheuses même l’on revienten train express et en paquebot. La vérité, c’est que le docteurétait en Écosse ; que la pauvre Iris allait-elledevenir ? quel parti M. Montjoie se déciderait-il àprendre ? Elle relut la lettre avec un effroi croissant.

Il était clair que celui qui l’avait écrite,ignorait le fait de la restitution et les armes terribles dontFanny Mire pouvait encore disposer. D’un mot, il lui était possiblede le faire arrêter comme meurtrier. De tout ce qui précède, elleconclut qu’elle devait cacher à ce misérable le nom du témoin dontil avait tant à redouter la déposition. Elle lui exposerait lasituation avec calme, le mettrait en demeure ou de se taire, oud’en subir les conséquences, mais elle se disait aussi, lamalheureuse, que c’en était fait de sa propre tranquillité et qu’ilreviendrait un jour ou l’autre.

Ce fut pour Mme Vimpany laplus triste journée qu’elle eût jamais passée ; elle voyait lebonheur de ce jeune ménage à jamais détruit. Comment les chosesallaient-elles se passer ?

Mme Vimpany était dans sachambre avec Fanny. Soudain, celle-ci lui demande :

« À quoi pensez-vous ?

– À mon mari, répond la femme du docteurd’une voix étranglée,… je tremble pour M. Montjoie… »

Fanny Mire reprend vivement :

« M’autorisez-vous à parler, à dire ceque j’ai vu, ce que j’ai entendu ?

– Certainement, à cause de ladyHarry ; autrefois, j’aurais volontiers défendu celui dont jeporte le nom, mais aujourd’hui, je sais à quoi m’en tenir ;c’est un chenapan, un triple scélérat,… un assassin…

– Vous avez reçu une lettre de lui cematin, dites ? j’ai reconnu l’écriture.

– Chut ! oui, c’est vrai, il m’aécrit ; il a besoin d’argent. Il viendra ici demain siM. Montjoie refuse de faire droit à sa demande ; cegredin est capable de tout ! Il faudra persuader à lady Harryde garder la chambre et même le lit, coûte que coûte,… voussavez !

– Il ignore que j’ai tout vu, repritFanny. Accusez-le d’avoir empoisonné le Danois ; dites-lui,poursuivit-elle, les lèvres parcheminées, que s’il ose jamaisrevenir ici,… s’il ne s’éloigne au plus vite, une plainte seradéposée contre lui et il sera arrêté sous inculpation demeurtre…

– Oui, Fanny, ma résolution est prise.Oh ! qui nous délivrera de ce monstre ! »

Au dehors, le vent souffle avec force ;les branches des cyprès se tordent et se détordent ; lesvagues déferlent avec fureur sur la plage. Pendant la tempête, unmoment d’accalmie vint, enfin, à se produire, puis, le vent et lamer se taisent tout à coup, soudain, comme un écho à la question deFanny, l’on entend un homme pousser un cri de détresse.

Les deux femmes se précipitent à la fenêtre etl’ouvrent, de nouveau, la pluie et le vent font rage, les forces dela nature semblent être à l’état de révolte, pas une voix humainene domine ce bruit effroyable et sinistre. Minuit était passédepuis longtemps, lorsque les deux amies songèrent à refermer lesfenêtres et à s’aller coucher. L’une d’elles resta éveillée toutela nuit, la voix de l’ouragan ne menaçait-elle pas lady Harry de lacolère du ciel ? Elle se trompait, la colère du ciel menaçaitseul le vrai coupable, le lendemain matin le flux apporta sur lagrève le cadavre de Vimpany.

Soit qu’il revînt d’Annan, soit qu’il vînt àla villa, personne ne pouvait le dire. À la vue de son cadavre, safemme pleura non de chagrin, mais de soulagement, on enterra lecadavre comme étant celui d’un inconnu, sur l’avis de Hugues,Mme Vimpany jeta la lettre au feu. À quoi bon,assombrir d’une ombre nouvelle la vie d’Iris ? mais à quelquesjours de là, cependant, Mme Vimpany arbora lebonnet des veuves. Au regard interrogateur d’Iris elle se borna àrépondre :

« J’ai appris dernièrement sa mort…heureusement pour lui, il ne peut plus commettre de mauvaisesactions. Il ne peut plus, juste ciel ! jeter le trouble dansaucune âme humaine, dans aucun ménage, il estmort ! »

Iris garda le silence, oui, il valait mieuxqu’il fût mort. Mais, elle ignora toujours comment elle avait étédélivrée de ce misérable et quel sinistre dessein il avait surelle. Il est une chose – une seule – qu’elle n’a jamais dite à sonmari au fond d’un tiroir à secret, Iris conserve une boucle decheveux de lord Harry. Pourquoi ? Hélas ! parce quel’amour aveugle ne s’efface, ni ne s’éteint, ni nes’oublie !

FIN

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