C’était écrit

Chapitre 64

 

« La première chose à faire, c’est decacher cette horrible photographie », dit lord Harry ens’emparant de l’épreuve.

Il ouvre un tiroir pour l’y déposer ;puis, comme frappé d’une inspiration soudaine, ils’écrie :

« Ah ! voici mon testament. C’estvous, ma chère femme, que j’ai constituée ma légataireuniverselle,… je vous laisse tout, absolumenttout ! »

Passant le document à Iris, il poursuivit.

« Il vaut mieux, du reste, qu’il soit dèsà présent entre vos mains, puisque, de fait, vous êtes monexécutrice testamentaire.

Sans souffler mot, Iris prend l’enveloppecachetée.

La lumière s’était faite en son esprit :c’était à elle que reviendrait l’obligation d’agir,… de toucherl’argent. Du même coup, la fraude lui était révélée et elle s’enfaisait la complice.

L’arrivée intempestive d’Iris imposait à lordHarry la nécessité de combiner un nouveau plan ; voici celuiauquel il s’arrêta. Puisque Iris savait tout, il ne lui restaitplus qu’à quitter Passy, avant que personne eût eu vent de saprésence en cette petite localité. Ils passeraient tous deux enpays étranger, en Belgique, changeraient de nom et habiteraient unpetit trou, inconnu des Anglais. Le docteur Vimpany, cet hommeunique au monde, se chargerait de régler les affaires. N’avait-ilpas déjà notifié le décès de son sosie à la Compagnie d’assurances,à l’aîné de la famille et au notaire ! Chaque minute quis’écoulait multipliait pour lord Harry les occasions d’êtrereconnu. Une fois qu’ils auraient passé la frontière, ils vivraientpour eux seuls, morts au reste du monde. Ils allaient donc enfin,heureux et contents, filer des jours d’or et de soie ! MaisIris acceptait-elle cette combinaison ?

« Tout ce que vous ferez sera bien fait,répondit-elle d’un ton grave.

– Au bout d’un laps de temps très court,reprit lord Harry, il sera urgent que vous retourniez enAngleterre, munie de mon testament ; vous y toucherez la primed’assurance, puis vous reviendrez rejoindre votre mari, WilliamLinville, et pour déjouer tout soupçon, vous passerez auparavantplusieurs semaines à Londres. »

Iris poussa un profond soupir ; puis,elle fixa ses regards sur son mari, qui la considérait avec un airde doute ; elle sourit et dit :

« En toute chose, Harry, je suis votreservante. Quand partons-nous ?

– Immédiatement ; je n’ai plusqu’une lettre à écrire au docteur. Ce sac de voyage contiendra toutvotre bagage ? Laissez-moi m’assurer, d’abord, que personne nerôde autour de la maison ? Avez-vous mon testament ? Oui,il est dans le sac de cuir ;… alors, tout est bien ;c’est moi-même qui le porterai jusqu’à la gare. »

Le sauvage lord descend quatre à quatre, puisrevient vivement.

« La garde-malade, dit-il, est dans lachambre d’ami.

– Quelle garde-malade ? demande Irisà mi-voix.

– Celle qui a remplacé Fanny. Vimpany apréféré avoir une garde jusqu’à la fin. »

Son interlocuteur parlait à mots pressés, maisIris n’en conçut pas l’ombre d’un soupçon.

« Sortez vite, poursuivit-il, partez parla porte de derrière, elle ne vous verra pas. »

Iris obéit ; elle détale subrepticementde chez elle comme une voleuse. Ils étaient convenus de seretrouver sur la route. Elle traverse le jardin en courant commeFanny l’avait fait avant elle.

Voici la lettre que lord Harry écrivitd’arrache-pied au docteur :

« Cher ami, pendant que vous remplissezles formalités nécessaires à l’inhumation de X…, un événement desplus imprévus, des plus extraordinaires, s’est produit. L’inattenduseul arrive ! Le retour de ma femme à Passy en est bien lameilleure preuve ! Heureusement, elle n’est pas entrée dans lachambre mortuaire ; d’ailleurs, maintenant, il n’y a plusaucun risque à courir de ce côté, ma femme est repartie. Ayantaperçu sur la table, la première épreuve que vous avez tirée de monsosie, elle a été prise d’un saisissement tel, qu’elle a perduconnaissance. J’ai été contraint de la mettre au courant de lasituation, mais non du dernier acte du drame. Dieu sait tous lesbeaux raisonnements que je lui ai faits, pour la disposer àaccepter l’invention, la fourberie de mon décès et tout ce quis’ensuit ! Une fois la chose entendue et bien que, au fond,Iris fût médiocrement édifiée de cette petite combinaison, elle s’yest prêtée et a déguerpi sans coup férir. Âme qui vive ne l’avue ; la garde-malade comprise. Je l’ai instruite des serviceseffectifs qu’elle aura à me rendre, en se présentant munie de montestament, à la Compagnie d’assurances et en palpant la prime àtoucher après ma mort.

« Elle a consenti à tout, par dévouement,par amour pour moi ; satisfait de ce résultat, je me suis dit,à part moi, que la séduction irrésistible de votre serviteur n’ajamais été plus justifiée. D’une part, considérant combien ilimportait qu’elle s’éloignât sans se douter du spectacle qu’offrela chambre d’ami ; d’autre part, combien il était urgent queje pusse filer avant que la Compagnie d’assurances ait envoyé icises agents, vous m’approuverez, j’espère, d’avoir quitté Paris,voire Passy aujourd’hui même. Adressez-moi vos lettres : àWilliam Linville, poste restante, Louvain, Belgique. Veuillezdéchirer ce pli aussitôt que vous en aurez pris connaissance.

« Louvain, petit endroit paisible,n’offre aucune attraction aux touristes en général, et aux Anglaisen particulier ; l’on peut y vivre à très bon compte, loin desdistractions mondaines. Vu le peu d’argent dont je puis disposer,vous voudrez bien en dépenser le moins possible. Je ne sais pas aujuste à quelle époque la prime pourra être soldée, deux mois, sixmois peut-être ! Or, d’ici là, il faudra se réduire à laportion congrue. Dès que lady Harry sera à Londres, elle pourraobtenir des avances du notaire de la famille, avances hypothéquéessur la prime, bien entendu. Je regrette de laisser tomber sur voustoute la charge des obsèques d’Oxbye et de la correspondance avecsa famille. Peut-être même serez-vous forcé d’aller en Angleterrepour tout expliquer aux parents. Je vous conseille d’adresser à laveuve du défunt la note de vos honoraires.

« Un mot encore : Fanny Mire est àLondres, mais elle n’a pu voir lady Harry ; croyez bienqu’aussitôt qu’elle apprendra que sa maîtresse a quittél’Angleterre, elle partira pour Passy comme un dard. Elle peut yarriver à chaque instant. À votre place, je la recevrais dans lejardin et je l’éconduirais au plus tôt. Ce serait une complicationfâcheuse, si elle survenait avant les obsèques…

« Adieu, mon cher docteur, votreprudence, votre intelligence et votre sagesse, me font espérer queje peux dormir sur les deux oreilles.

« Votre ami anglais. »

Lord Harry lut et relut son épître ; iln’y avait pas, en effet, le moindre danger d’être découvert, etcependant une certaine appréhension lui tenait l’esprit en suspens.Il fallait bien mettre le docteur au fait des derniers événementset faire partir sa femme à la douce.

Après avoir fermé la lettre, il boucle samalle, se rend à la gare et quitte Paris pour toujours.

Le lendemain, la dépouille mortelle de lordHarry Norland était conduite à sa dernière demeure.

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