C’était écrit

Chapitre 49

 

Le lendemain matin, lord Harry quitte lecottage, accompagné du docteur. Puis après un certain laps detemps, il rentre seul. Le changement qui s’était opéré en luijustifiait en tout point les appréhensions que sa femme avaitconçues depuis son entretien avec Fanny.

L’air abattu, les yeux injectés de sang, laphysionomie hagarde de lord Harry, accusaient une lutte intérieure,effet de la colère.

« Je n’en puis plus, dit-il en rentrantchez lui, donnez-moi un verre de xérès ? »

Sa femme mit à le servir une obéissanceempressée ; elle comptait que ce stimulant réparateur luirendrait les forces dont il avait besoin. Les petites querelles quiabaissent l’humanité, ne se font guère sentir que dans le calmemonotone de la vie ordinaire, mais cessent aussitôt que de fortesémotions provoquent l’orage. En cet instant, nous voyons Iris,prise d’épouvante à l’idée que lord Harry a été exposé à unetentation grave, et lui tremblant que sa physionomie ne trahisse letrouble qui le torture. Les yeux baissés, Iris répond :

« Je crains que vous n’ayez appris demauvaises nouvelles ?

– Oui, au bureau du journal »,riposta lord Harry d’un ton triste.

Elle comprit qu’il dissimulait quelque chosede grave ; tous deux gardèrent le silence ; lord Harryparaissait complètement absorbé par ses préoccupations. Tous deuxétaient assis côte à côte, unis par la plus intime des relationshumaines et, néanmoins, étrangers l’un à l’autre !

Les minutes s’écoulaient lentement, trèslentement, sans que la situation changeât. Lord Harry redresseenfin la tête, regarde sa femme d’un air triste et passionné. Irisobéissant aux impulsions du cœur, les seules qui ne trompent pas,rompit le silence.

« Que je voudrais pouvoir soulager vostourments, dit-elle simplement. Je ne résiste pas à vous demanders’il n’y a rien que je ne puisse faire pour vous ?

– Venez ici, ma chère Iris. »

Alors, elle se rapproche de lui ; ill’attire contre son cœur et finit par dire :

« Embrassez-moi, ma chèrefemme. »

Et elle l’embrassa tendrement. Il poussa unprofond soupir, la regardant d’un air implorant qu’elle ne luiavait jamais vu.

« D’où vient votre hésitation à meconfier vos chagrins, mon cher Harry ; hélas ! je devineà quel point vous êtes préoccupé…

– Oui, répondit lord Harry, il est unechose que je regrette vivement.

– Laquelle ?

– C’est d’avoir prié Vimpany de revenirchez nous. »

Une joie avait saisi Iris ; elle regardason mari avec attendrissement ; une rougeur de satisfaction serépandit sur le visage de la jeune femme. Cette fois encore,l’amour lui fit découvrir la vérité ! Le docteur avait dûlaisser voir le bout de l’oreille pendant leur mystérieuxentretien, et, de fait, son cynisme avait paru révoltant à lordHarry. Heureuse de découvrir qu’il lui accordait de nouveau saconfiance, Iris reprit :

« Après la communication que vous venezde me faire, je saisis avec joie l’occasion de vous dire que jesuis aise de vous voir rentrer seul. »

La réponse de son mari la glaça.

« Vimpany est resté à Paris seulement letemps de remettre une lettre d’introduction à qui de droit ;dans un moment, il sera ici.

– Vraiment ! dit Iris avec uneremontée d’amertume, quand cela ?

– Pour dîner, je suppose. »

Iris était encore sur les genoux de son mari,lorsqu’il lui demanda :

« J’espère, ma belle, que vous dînerezavec nous ce soir ?

– Oui, si tel est votre désir ?

– Vous n’en pouvez douter. J’avoue qu’ilme déplairait singulièrement de me trouver en tête à tête avecVimpany. De plus, un dîner sans vous, ici, n’est pas undîner. »

D’un regard aimable, Iris le remercia de cepetit compliment, mais, au fond, elle était ennuyée de laperspective de revoir le docteur. Prenant son courage à deux mains,elle poursuivit :

« Doit-il dîner avec noussouvent ?

– J’espère que non. »

Si, d’un côté, lord Harry eut pu faire uneréponse plus positive, d’un autre côté, sans doute, il ne voulaitpas s’expliquer : il prit une porte échappatoire, en abordantun autre sujet, plus agréable pour lui, et s’exprima en cestermes :

« Ma chère Iris, du moment que vous avezexprimé le désir de me venir en aide dans mes anxiétés, je vaisvous en fournir l’occasion. Je dois écrire tout à l’heure unelettre importante pour vos intérêts et pour les miens. Vous voudrezbien en prendre connaissance et m’en dire votre sentiment. Cettelettre très importante pour moi, comme je viens de vous le dire,m’oblige à une grande tension d’esprit, aussi vais-je allerm’isoler dans ma chambre. »

L’esprit plein de ces pensées, Irisréfléchissait à tout ce qui s’était passé, lorsque Fanny Mireentra ; elle venait raconter à lady Harry le résultat de sonexpédition à Paris.

Elle avait combiné son départ de façon àprécéder l’arrivée de lord Harry et de M. Vimpany ; tousdeux s’étaient rendus en causant de la gare au bureau du journal.Fanny avait réussi à les suivre en fiacre. Grâce à la voiletteépaisse qu’elle portait pour voir sans être vue, elle put se rendrecompte que le docteur prenait ensuite le chemin duLuxembourg ; il fut rejoint par lord Harry et tous deux sedirigèrent dans la partie la plus isolée du jardin. L’entretienfini, lord Harry sortit par une des portes de la grille, et son airbouleversé, sa démarche agitée, ne laissèrent pas de frapper FannyMire. M. Vimpany étant venu à passer près d’elle, les mainsenfoncées dans ses poches, elle put constater qu’un singuliersourire errait sur ses lèvres ; de méchantes penséesrenforçaient à coup sûr sa gaieté de mauvais aloi !

Fidèle à sa première idée d’espionnage, ellevoit le docteur prendre la direction de l’Hôtel-Dieu et lesuit de loin. Arrivé à la porte, il tire une lettre de son calepinet la remet au concierge. Peu après, un individu s’empresse àsaluer poliment le docteur, qu’il conduit dans l’intérieur del’hôpital. Fanny Mire guette sa sortie pendant plus d’une heure.Quel pouvait être son dessein en venant dans un hôpitalfrançais ? Quel but poursuivait-il en y restant silongtemps ? Découragée par ces mystères insondables, harasséede fatigue, Fanny s’en revint à Passy, très anxieuse de communiquerces nouvelles à lady Harry ; mais, au moment où elle allait lefaire, lord Harry entre dans la pièce, une lettre à la main. Il vade soi que l’on congédia brusquement Fanny.

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