C’était écrit

Chapitre 32

 

Hugues Montjoie, pour l’instant seul dans sachambre, tire vivement le cordon de sonnette ; mais avant quele domestique eût ouvert la porte, il n’était déjà plus temps decourir à la poursuite de miss Henley.

Le propre d’un honnête homme étant de chercherdans l’activité et le travail, un dérivatif aux penséesdouloureuses, Hugues résolut d’écrire à Iris, puis d’aller ensuitechez M. Henley. Sur l’enveloppe, il avait tracé cesmots : Confiée aux soins de M. Vimpany, faire suivre.

Il se rend après ça chez M. Henley, qu’iltrouve confortablement assis à table. Hugues, sans préambule,prononce un chaleureux plaidoyer en faveur d’Iris, mais, comme ellel’avait prédit, son ami n’eut pas gain de cause.

Après s’être plaint en termes assez vifs de lafaçon dont le visiteur venait de forcer la consigne, M. Henleyfait savoir à Montjoie qu’il vient d’ajouter un codicille à sontestament, afin de frustrer sa fille de tout droit à son héritage.À cette nouvelle imprévue, Hugues sent la colère lui empourprer lesjoues ; il est clair que son interlocuteur, insensible auxmenaces et aux prières, a un cœur de pierre. L’insuccès deMontjoie, en cherchant à servir les intérêts d’Iris, ne faitqu’ajouter à son désir de triompher des difficultés. Il se disaitqu’après tout, il était peut-être encore temps de retarder, sinond’empêcher ce mariage. Il lui parut qu’il n’avait qu’une chose àfaire, aller trouver lord Harry et lui communiquer la fatalerésolution de M. Henley ; soit que le sauvage lordconsidérât seulement ses propres intérêts, soit qu’il fûtvéritablement dévoué à ceux d’Iris, les conséquences formidables deleur union lui feraient, sans nul doute, faire un retour surlui-même.

La lumière qui brûlait encore, 5, Redburnroad, donnait bon espoir que lord Harry habitait encore lamaison.

Effectivement, Montjoie trouva le docteur etson ami tranquilles comme deux cerfs au ressui ; mis en bonnehumeur par l’absorption de trois grogs (trois seulement), le maîtrede la maison saisit avec empressement cette occasion de mettre finà un malentendu survenu naguère entre Montjoie et lui, à la suitede certaines libations à l’hôtellerie de Honey-Buzzard, et ils’écria :

« Oubli et pardon, voilà ma devise !Inutile, n’est-il pas vrai, de vous présenter, monsieurMontjoie ? Très bien ; voyons, prenez un siège, dit-il ens’adressant au survenant ; je suis pauvre, c’est vrai, maistant que j’aurai un toit pour protéger ma tête, un ami fidèle seratoujours le bienvenu chez moi. J’ai tout lieu de croire que leconfrère qui m’a vendu sa clientèle est un fripon fieffé ! monargent a filé et les clients ne viennent pas ; ce n’est pas àdire pourtant que je sois à la dernière extrémité – financièrementparlant. – Puis-je vous offrir un grog ? tenez, préparez-levous-même. »

Après s’être excusé courtoisement, Hugues faitsavoir que sa visite avait pour but de solliciter un momentd’entretien avec lord Harry.

À ces mots, le docteur, fort mécontent d’êtretenu en suspicion, change de couleur. D’autre part, le sauvage lordparaît hésiter. Il demande d’abord s’il s’agit de missHenley ? Hugues répond que oui ; sur quoi, soninterlocuteur objecte qu’il est plus prudent de n’en pas parler. Àcela, Montjoie réplique que la chose est de la plus hauteimportance, à telle enseigne, qu’il s’est décidé à partir deLondres fort tard dans la soirée, pour venir àHampstead.

Lord Harry se lève et passe devant Montjoiepour lui montrer le chemin. Furieux du peu de confiance qu’on luitémoigne, M. Vimpany tient d’autant plus à affirmer sonautorité de maître de maison ; s’adressant à lord Harry, ilcrie d’une voix forte :

« Faites entrer M. Montjoie dans lamême pièce que celle-ci, à l’étage supérieur ; vous êtes icichez moi. »

Les deux jeunes gens pénètrent alors dans unsalon meublé d’une façon sommaire : une table boiteuse etquelques méchants sièges ; lord Harry et Montjoie restentdebout, chacun prévoyant que l’entrevue ne devait être ni calme, nisilencieuse. Sans perdre de temps en périphrases, Hugues s’exprimede la manière suivante :

« Ayant eu connaissance d’un projet demariage entre vous et miss Henley, je me suis fait un devoir devous demander si vous êtes instruit des dispositions queM. Henley a prises à l’égard de sa fille, au cas où votreespoir se réaliserait ? Eh bien, sachez qu’il a l’intention dela déshériter !

– Permettez, répliqua Harry en l’arrêtantcourt et en se redressant : faites-vous là de simplesconjectures ?

– Je quitte à l’instant M. Henley etc’est de sa propre bouche que j’ai recueilli le renseignement queje viens de vous donner. »

Lord Harry garde un instant le silence ;Hugues se figure avoir provoqué par là un obstacle à la célébrationimmédiate du mariage ; mais il est bientôt détrompé dans sesprévisions. L’amour que le sauvage lord ressentait pour Iris étaittrop ardent pour tenir compte des considérations pécuniaires. Ilprotesta, disant :

« Vous exagérez les choses :permettez-moi de vous représenter que miss Henley n’est point dansla dépendance de son père, autant que vous semblez le croire. Laconduite de M. Henley, tout odieuse quelle soit, resteétrangère à la question. Et, bon Dieu ! je ne me déchargeraisur personne, du devoir de nourrir et de vêtir ma femme. Je ne suispas sans ressources. Sachez que je m’estimerai très heureux defaire participer à ma fortune, quelle qu’elle soit, celle quiportera mon nom. Je peux entrer dans les détails, si vous ledésirez ; j’ai vendu mon cottage en Irlande…

– Un bon prix ? demanda Hugues.

– Il vous doit suffire de savoir qu’ilest vendu. Puisque nous en sommes à parler finance, sujet qu’ilm’est toujours pénible d’aborder, surtout quand il s’agit de lafemme la plus séduisante que je connaisse, j’ajouterai pourtant,que miss Henley a une fortune personnelle qu’elle a hérité de samère ; vous me connaissez assez pour savoir que je suisincapable d’y toucher ?

– Assurément, riposta Montjoie, mais,aussi, nous savons tous que les dividendes baissent, que lescompagnies s’effondrent, que…

– Allons, allons, admettons un instantque le portefeuille de miss Henley soit aussi vide que ses poches,qu’a-t-elle à craindre, je vous le demande, si elle devient mafemme ?

– À craindre ? de rester sansressources parbleu ! si vous veniez à mourir.

– Ma parole d’honneur ! c’est à quoije n’ai pas pensé… Voyons, que puis-je faire ? »s’écria-t-il avec désespoir et en ayant l’air de se consulter.

Montjoie s’aperçut alors qu’une émotionprofonde de découragement, était peinte sur les traits de lordHarry.

Ce coureur d’aventures, qui avait maintes foisexposé sa vie, ne pouvait-il donc entrevoir le spectre de la mortsans frémir ? Non, une telle hypothèse ne tenait pas debout.Sûrement, quelque chose qu’il ne voulait communiquer à personnepesait sur son esprit et menaçait son avenir. Le fait est, qu’aprèsle meurtre d’Arthur, il avait rompu avec l’association desInvincibles. Toujours est-il qu’on l’avait prévenu que, s’ilrentrait en Angleterre après cette défection, cela lui pourraitcoûter cher, très cher. Si jamais la nouvelle de son retour du sudde l’Afrique arrivait à la connaissance des frères et amis, ceux-cilui feraient expier cette audace en prononçant sa sentence de mort.Son sort dépendait, en somme, de son plus ou moins de sécurité chezle docteur Vimpany.

Hugues attachait sur lord Harry un regardétonné, lorsque une inspiration soudaine sembla sortir du cerveaude cet extravagant personnage. S’élançant d’un bond vers Montjoie,il s’écria en lui tendant la main avec effusion :

« Je vous tiens, mon cher monsieur, pourmon meilleur ami.

– À quoi dois-je cet honneur ?répondit ironiquement le flegmatique Anglais.

– Quel service immense vous venez de merendre, en me rappelant que je puis faire un sort à ma futurefemme ! Vous avez raison : le plus tôt sera le mieux.Notre ami, le docteur, me servira de répondant.

– Parlez-vous sérieusement ? repritMontjoie, dont l’esprit était aussi prompt à saisir les obstaclesau mariage de lord Harry avec Iris que rebelle à en accepter leschances.

– Pourquoi cet air de doute ?riposta l’irascible Irlandais, avec un geste d’impatience.

– Vrai, je ne comprends pas…

– Tâchez d’abord de n’être plus jaloux,dit lord Harry, et vous me comprendrez… Je suis de votre avis,… jedois assurer l’avenir de ma femme,… de ma veuve et cela au moyend’une assurance sur ma vie. »

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