C’était écrit

Chapitre 68

 

À trois jours de là, un fiacre s’arrête devantl’étude du notaire de la famille Norland ; une jeune femme engrand deuil et voilée de crêpe descend du véhicule ; elleredoutait un accueil à la fois formaliste et soupçonneux, car ellene se faisait plus illusion sur la vie que menait son mari depuislongtemps ; le frère aîné de lord Harry, savait également àquoi s’en tenir, en sorte que sa répulsion morale paralysait lessentiments d’affection. Puis des rumeurs vagues survenues par suitede certains faits, ne laissaient pas de faire craindre unecatastrophe imminente. L’officier ministériel au lieu de recevoirla jeune veuve d’un air aussi solennel que Thémis, et aussirébarbatif qu’un président de Cour d’assises, l’accueillit en luitendant la main et paraît prendre une part très sincère à sespeines ; il murmure :

« Ma chère lady Harry,… ma chère ladyHarry,… quelle épreuve terrible pour vous ! »

Elle tressaille ; ciel !qu’allait-il dire après cela ? Il poursuivit :

« Il doit vous être si pénible, en unpareil moment, de vous occuper d’affaires !

– Je vous apporte le testament de monmari, répond-elle simplement.

– Si vous le permettez, j’en prendraiimmédiatement connaissance… Ah ! ce ne sera pas long,… jevois,… il n’y a que deux lignes. Je ne crois pas, à vrai dire,qu’en dehors de la Compagnie d’assurances, il vous reviennegrand’chose.

– Rien, absolument rien : mon mari atoujours été impécunieux, vous savez ; au moment de sa mort,il a laissé si peu d’argent, que je me trouve dans un embarrasréel.

– C’est tout simple ; vous n’avezqu’à tirer un billet à ordre sur nous : nous avons étéinstruits de la mort de lord Harry par le docteur Vimpany, quiparaît être l’un de ses amis en même temps que son médecin.

– Le docteur était le commensal de monmari au moment fatal ; moi, j’avais dû revenir à Londresdepuis plusieurs semaines. À la première nouvelle du danger, jesuis partie comme une flèche. À mon arrivée à Passy, Harry étaitnon seulement mort, mais enterré.

– La brouille entre le défunt et lesautres membres de sa famille (notez que je n’approfondis rien)rendent les circonstances de sa mort plus regrettables encore.

– Il avait près de lui le docteurVimpany ! s’écrie-t-elle vivement. Le ton sur lequel elleprononça ces mots, donna à penser au notaire que le docteur enquestion inspirait à lady Harry antipathie et jalousie. »

L’officier ministériel reprit :

« Il reste désormais à prouverl’authenticité du testament, et vos droits à la primed’assurance : lord Harry était assuré pour 375 000francs. On ne peut compter qu’une somme pareille puisse être payéeen une fois. La compagnie demandera probablement à se libérer paracomptes en un délai de trois mois : mais, comme je vous l’aidéjà dit, notre caisse est ouverte à lady Harry.

– Êtes-vous certain que la compagniepayera ?

– Il faut bien qu’elle paye,pardieu !

– Je pensais qu’une aussi fortesomme…

– 375 000 francs ne sont pas la merà boire ! dit le notaire en souriant, si une Compagnied’assurances refusait de remplir ses engagements envers les ayantsdroit, c’en serait fait d’elle !

– Oui,… je comprends… Seulement le décèsde mon mari ayant eu lieu à l’étranger, je pensais que celapourrait susciter certaines difficultés.

– S’il était mort au Cap, passeencore ! mais à Passy, un faubourg de Paris ! sous lerégime de la loi française, plus méticuleuse, plus précise encoreque la nôtre, cela ne fera pas un pli. Nous avons, outre les piècesde la mairie, des pompes funèbres et le certificat du médecin, unephotographie du défunt, épreuve admirable – le soleil ne peutmentir – une photographie du monument mortuaire, toutes piècesjustificatives dont la compagnie tiendra compte assurément. Dumoment que vous êtes la seule héritière de lord Harry, cela suffità détruire tout soupçon au sujet de sa mort ; s’il eût étéentouré de gens intéressés à le voir disparaître, on aurait puémettre des doutes sur leurs intentions, mais vous, madame, c’estdifférent. Vous n’avez aucune inquiétude à concevoir.

– C’est un grand soulagement pour moi,répondit Iris.

– J’ai déjà mandé ici le directeur de lacompagnie. La maladie dont est mort lord Harry n’a pas laissé del’étonner, la tuberculose n’ayant pas de précédents dans la familleNorland. Je lui ai objecté que la vie qu’il avait menée avait puruiner sa constitution. »

Iris donna au notaire son adresse à Londres.Celui-ci lui remit un chèque de 2 500 francs. Dès qu’elle eneut touché le montant, elle adressa la moitié de la susdite somme àM. Linville à Louvain, poste restante. À six semaines de là,étant toujours à Londres, elle fut avisée que la compagnie avaitpayé au banquier la somme de 375 000 francs. Iris écrivit audocteur Vimpany pour lui fixer un rendez-vous. Son œuvred’escroquerie et de mensonge était accomplie !

D’autre part, elle écrivit à M. Linvilleles lignes suivantes :

« Les choses n’ont présenté aucunedifficulté ; la compagnie a trouvé tout simple et tout naturelde payer la prime ; je commence à respirer ! Pourvu quece coquin fieffé de docteur ne nous cause pas d’ennuis ! Il nenous reste plus qu’à aller vivre en Amérique, ce refuge de tous lesdécavés. Par mesure de prudence, je vous conseille de laissercroître votre barbe et de teindre vos cheveux. Oh ! qu’il metarde de fuir les lieux, les personnes, tout, en un mot, ce quipeut réveiller le souvenir du passé ! Si nous pouvions un jourrecouvrer la paix, la douce paix des anciens jours… et aussi lerespect de nous-mêmes, hélas ! »

Iris était à cent lieues de penser qu’elleavait creusé sous ses pieds un abîme qui n’en finissait pas.

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