C’était écrit

Chapitre 27

 

En se remémorant l’amère déconvenue éprouvéepar lord Harry, au sujet d’un projet d’alliance entre elle etMontjoie, Iris comprit qu’il fallait à tout prix empêcher lordHarry de franchir le seuil de la maison. Donc, son premier soin futde lui écrire et d’adresser sa lettre à l’hôtel indiqué par ledocteur Vimpany ; elle suppliait le sauvage lord de renoncer àla pensée de la venir voir. Toutefois, comme elle supposait qu’il ypersisterait quand même, elle lui proposa une entrevue secrète.L’espoir de voir le fugitif revenir innocent du crime qu’il avaitcomploté, remplissait l’âme de la jeune fille d’une immensejoie.

Toutefois, il est juste de dire qu’elle n’ensongeait pas moins à Hugues Montjoie. Elle regrettait d’être loinde lui et, par cela même, privée de ses conseils. Qui sait ?il lui eût peut-être donné celui de brûler sa lettre au sauvagelord. Puis, elle poussa un soupir, et donna la missive à porter àla poste.

Une pluie torrentielle empêcha miss Henleyd’aller faire le lendemain sa visite habituelle à Rhoda Bennet,mais trois jours après, le temps s’étant rasséréné, elle donnal’ordre d’atteler la voiture découverte. Tout en s’habillant poursortir, elle fit la remarque que Fanny, ce matin-là, était encoreplus pâle que d’habitude ; par intérêt pour la santé de sacamériste et sans penser à elle-même, Iris lui dit de se préparer àl’accompagner.

En arrivant à la ferme, les deux femmesaperçurent la fermière qui se livrait à des commentaires prolixesavec l’un des médecins de la localité.

« Eh quoi ? docteur, viendriez-vouspour Rhoda ? demanda Iris d’une voix ; empreinted’inquiétude.

– Rassurez-vous, miss ; le soleil etle repos sont les seuls remèdes nécessaires. Pour le moment, elleest assise dans le jardin. Seulement, dit le docteur avec autorité,je défends qu’elle se fatigue à recevoir des visites ; maispar contre, j’autorise la vôtre ; elle ne peut que lui fairedu bien. Je tiens à vous dire qu’il serait bon de la pourvoir devêtements plus chauds ; les convalescents ont toujours unepropension fâcheuse à s’enrhumer. »

Se conformant en tous points à l’avis dumédecin, Iris entra seule à la ferme, laissant Fanny Mire dans lavoiture. À dix minutes de là, elle reparut portant, au lieu d’uneriche casaque en loutre, un imperméable à moitié usé.

« Que dites-vous de ce nouveaumanteau ? demanda-t-elle à Fanny.

– Je n’ose me permettre d’exprimer monopinion, miss.

– Voyons : ce changement de costumene peut manquer d’intriguer une fille d’Ève ; je vais doncvous raconter comment la chose s’est produite : j’ai trouvéRhoda dehors, insuffisamment vêtue pour la saison, en sorte que,malgré sa résistance, je lui ai mis mon manteau de fourrure sur lesépaules. Je regrette sincèrement que vous n’ayez pu la voir ;mais puisque vous appréciez comme moi les beaux paysages et lesgrands horizons, nous reviendrons par Highgate etHampstead.

– Pourvu que vous ne soyez pas victime devotre bonne action ! s’écria Fanny Mire ; l’air est trèsfrais, en voiture découverte surtout.

– C’est vrai ; alors rentrons àpied, reprit Iris, la marche nous réchauffera. »

Sur quoi, miss Henley donna au cocher l’ordrede rentrer.

Devant une auberge portant pourenseigne : Aux Espagnols,deux femmes, en regardantpasser Iris, échangèrent un regard malicieux.

« Vous voyez, miss, dit sa compagne,combien votre singulier accoutrement excite les remarquesdésobligeantes de tout le monde. Ce chapeau si élégant et cemanteau si pauvre font un si drôle d’effet !

– Pourquoi ne me l’avoir pas faitobserver plus tôt ? »

Là, Iris fait une pause, réfléchit, puis,suivie de sa camériste, elle s’engage dans un sentier qui aboutit àun bois de pins, d’où l’on embrasse une vue d’une étenduesurprenante.

« Maintenant, reprit Iris d’un tonenjoué, nous allons faire en sorte que le chapeau soit mieuxassorti au manteau ; mais, j’y pense ! on pourrait nousapercevoir de la route et nous prendre pour deux folles en mevoyant occupée à déplumer mon couvre-chef ! Suivez-moi sousl’épaisseur du fourré et marchons jusqu’au remblai, qui nouspréservera des regards des passants. »

Ce qui fut dit, fut fait.

Après avoir parcouru un bon bout de chemin, endescendant la pente rapide qui aboutit à la vallée, les regardsd’Iris et de sa camériste furent frappés d’épouvante. À leurs piedsgisait un être inanimé, couché sur le côté, le visage contre terreet un rasoir ouvert près de lui. Iris se baissa pour considérer deplus près le malheureux, dont le sang coulait à flots, d’une largeblessure à la gorge. Instinctivement, les yeux de la belle missHenley se ferment, puis, soudain, elle les rouvre, et reconnaîtlord Harry !

Le cri perçant qu’elle pousse, est entendu dedeux hommes occupés sur la route. L’un est un maçon, l’autre, mieuxvêtu, a l’air d’un contremaître ; celui-ci arrive le premierprès des deux pauvres femmes.

« Je comprends votre effroi, dit-ilpoliment. Tout porte à croire que c’est un cas de suicide.

– Au nom du ciel ! aidez-nous àporter secours à la victime,… je la reconnais », fit Irisd’une voix entrecoupée.

Se servant de son mouchoir et de celui de samaîtresse en guise de bandage, Fanny parvient à arrêter lesang.

Iris tâte le pouls au suicidé, pendant que, deson côté, le contremaître fouille les poches du malheureux.

« Dieu soit loué ! le pouls n’a pascessé de battre ! s’écria miss Henley d’une voix vibrante. Neconnaissez-vous pas un médecin dans le voisinage ? »

Au même instant, elle déchiffre son propre nomsur la suscription d’une lettre trouvée dans le calepin de lordHarry : il y en avait une seconde, adressée à la personne quidécouvrirait son cadavre.

Briser le cachet, retirer de l’enveloppe unecarte de M. Vimpany, lire les mots suivants, tracés au crayon,fut l’affaire d’un moment :

« Prière de me transporter chezM. Vimpany, à qui j’accorde toute liberté de me faire enterrerou de me disséquer. »

Iris s’informe s’il est possible de trouverune voiture à louer pour transporter le blessé. Sur la réponsenégative, Fanny qui ne perdait pas la carte, même dans lescirconstances les plus dramatiques, propose d’aller à son tour auxinformations, mais Iris s’en charge. Au moment où elle débouche surla route, elle avise une voiture à quatre roues et hèle lecocher :

« Il s’agit d’une courte distance àfranchir, s’écrie-t-elle, de grâce, arrêtez-vous ! »

En prononçant ces mots, elle se cramponne à lavoiture ; bientôt, le lugubre cortège s’avance lentement. Enapercevant un homme couvert de sang, le cocher se dispose à cinglerd’un vigoureux coup de cravache les flancs de son haridelle, maisdéjà une pièce d’or que miss Henley fait briller à ses yeux,l’arrête ; il reprend :

« Parfait, miss, parfait… Ah ! lepauvre monsieur ! je vous demande seulement, miss, de faireattention aux coussins. »

Après avoir chaleureusement remercié les deuxbraves gens qui lui avaient prêté aide et secours avec tantd’obligeance, Iris monte en voiture, pendant que Fanny Miresoutient de ses mains la tête du blessé. Dès qu’ils sont tous troisen fiacre, le cocher les conduit à une allure modérée et régulièrechez le docteur Vimpany.

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