C’était écrit

Chapitre 57

 

En ce moment, il ne restait plus chez lordHarry, qu’une seule personne dont la présence fut gênante et ilfallait à tout prix s’en débarrasser. C’était la cuisinière ;on lui fit un pont d’or et elle partit sur-le-champ, déclarant trèshaut que lord Harry avait une noble nature !

Revenons au bon Danois et disons que lecompatriote d’Hamlet mettait la patience de Fanny Mire à une rudeépreuve en protestant contre les sentiments de mépris que sagarde-malade affectait à l’endroit du sexe fort. Les souffranceslaissaient-elles à Oxbye un moment de répit, aussitôt l’expressionpénétrante de ses yeux et son sourire séduisant rappelaientconfusément lord Harry ; c’était le même ovale mince et lemême visage sans barbe ; par contre, la physionomie del’étranger ne trahissait jamais l’expression vindicative etemportée que l’on remarquait en certaines occasions chez lordHarry. En réalité, Fanny se trouvait en rapports continuels avec unêtre doux et attachant qui, entre les intervalles de sessouffrances aiguës, composait de jolis petits poèmes à la louangede sa garde-malade, ou des bouquets pour elle avec les fleurs dujardin. Se laissait-elle aller à quelque raillerie à son endroit,il s’en montrait très affecté ; venait-elle à oublier de luidonner un bonbon après une potion amère, il lui embrassait la mainquand même ! Ce pauvre malade aimait lord Harry, aimaitVimpany, aimait jusqu’à sa tigresse de garde-malade ! Pourobstinée qu’elle fût à lui cacher l’histoire de sa vie, ilpersistait à penser qu’elle était victime d’un amourmalheureux ; il aimait à croire que dans le monde des esprits,ils vivraient ensemble et chanteraient des hymnes éternelles,balancés sur les nuages. Parfois, il lui disait :

« Vous êtes d’une pâleur extrême, vousmourrez bientôt ; moi, je me briserai un vaisseau dans unaccès de toux, et ne tarderai pas à vous suivre, quelrêve ! »

La souffrance provoquait parfois chez lui,comme chez un enfant, des accès de larmes : mais dès quec’était passé, il riait et s’agitait. Si sa garde-malade, vrai typede femme pratique, avait l’air de s’en fâcher et luidisait :

« Ah ! quel homme vous êtes !Si je vous avais connu plus tôt, vous n’auriez jamais eu mes soins,jamais ! »

Alors, il répondait :

« Ah ! ma bonne, remercions Dieu quevous ne m’ayez pas connu ! »

La garde-malade prenait seule soin de lui etpréparait ses repas. Lord Harry et le docteur faisaient venir lesleurs d’un restaurant de la grande rue de Passy.

Cherchant sans cesse des indices qui pussentl’éclairer, Fanny observait attentivement ce qui se passait. Chaquematin, après le déjeuner, lord Harry se présentait dans la chambredu pauvre malade et lui adressait invariablement la mêmequestion : « Comment vous trouvez-vous ? » Àcela, tantôt il répondait qu’il allait mieux, ou qu’il allait plusmal ; tantôt, il avouait qu’il avait un vague espoir deguérison. Son interlocuteur exprimait alors ou des félicitations,ou des regrets, puis parlait de la pluie et du beau temps ets’éloignait. Les questions de politesse adressées par lord Harry aumalade étaient faites à contre-cœur. Il arriva un jour que Fanny,n’y tenant plus, lâcha la bonde à sa curiosité et dit :

« M’est avis que milord conserve peud’espoir de voir M. Oxbye se rétablir ?

– Mêlez-vous de ce qui vousregarde », répondit brutalement le sauvage lord.

Après cette rebuffade, Fanny se jurad’employer un autre moyen, pour pénétrer la pensée de lord Harry.Le voyant errer de chambre en chambre, aller et venir dans lesallées du jardin comme une âme en peine, monter à cheval durant desheures, ou partir dare-dare en chemin de fer pour Paris, où ilrestait jusqu’au soir, elle redoubla de surveillance. Elle fit laremarque que lorsqu’il arrivait à son maître de prendre du repos,il se réfugiait dans la chambre de sa femme, s’asseyait sur unmoelleux fauteuil et restait là, plongé dans ses réflexions. Quisait ! il la regrettait peut-être ! Mais quel pouvaitêtre le motif de sa conduite envers M. Oxbye ? Pourquoicherchait-il à éviter M. Vimpany ? D’autre part, commentcomprendre que le docteur, en voyant qu’on lui faisait grise mine,ne se montrait ni moins goguenard, ni de moins bonnecomposition ?

Enfin, la chose qui déplaisait souverainementà Fanny, c’était la manière d’être de M. Vimpany avec sonmalade, car il ne semblait éprouver ni compassion, ni sympathiepour lui, alors qu’il l’avait fait sortir de l’hôpital, sous leprétexte de le sauver ! Par manière d’acquit, il écoutait lerécit de ses souffrances ; d’un air bourru, il lui tâtait lepouls, lui faisant montrer la langue et tirait lui-même desconclusions qui ne modifiaient en rien le traitement. Lorsque Fannylui faisait part de ses observations, il hochait la tête,paraissant douter de sa véracité. Par contre, la douceur infinie duDanois par rapport au docteur avait quelque chose detouchant :

« Il faut être juste, disait-il, je metssa patience à rude épreuve. Est-il rien au monde de plus énervantqu’un espoir toujours renaissant et toujours trompé ? Maiscela n’ébranle pas ma confiance en lui. »

Fanny se gardait de dire au malade ce qu’ellepensait de son sacripant d’Esculape. En l’observant de plus près,les doutes qu’il lui inspirait, se changeaient en certitudes. L’unedes occupations favorites du docteur, c’était la photographie, ilprenait des instantanés tantôt dans l’intérieur, tantôt àl’extérieur du chalet. Un beau matin, à la grande mystification deFanny, il fit même le portrait du Danois endormi, on pouvait serendre compte qu’une légère amélioration s’était produite dans sonétat depuis plusieurs jours, la garde-malade demanda la permissionde voir l’épreuve, mais Vimpany la déchira en quatre.

« Je n’en suis pas satisfait »,fit-il, ce fut tout ce qu’il trouva à dire.

Ensuite, il se laisse tomber sur une chaise dejardin, comme un homme torturé par ses pensées. Au cas où l’état dupatient se fût aggravé, et où l’absorption des médicaments,prescrits par le docteur, eût amené la diminution des forcesd’Oxbye, les soupçons de Fanny eussent eu leur raison d’être, aucontraire, le visage du Danois témoignait d’un retour évident à lasanté, les creux de ses joues se remplissaient, le ton brun de sonvisage faisait ressortir le léger incarnat des pommettes. Bref,toute personne à qui il eût été donné de voir l’hôte de lord Harry,après une quinzaine de jours passés sous son toit, eût été d’avisque le traitement ordonné par le docteur et l’air vif de Passyfaisaient merveille.

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