C’était écrit

Chapitre 18

 

Montjoie regardait à la fenêtre pour ladixième fois, cherchant à apercevoir Iris, lorsqu’il la vit enfinarriver du côté de la maison de l’air le plus naturel, elle luiprésenta Rhoda.

« Voyez un peu la mine de ma caméristepeut-on croire qu’elle soit arrivée ici avec des joues pâles etémaciées ? À ça près qu’elle s’égare tous les jours dans lesrues de la ville, nous ne pouvons que nous féliciter d’être ici. Ledocteur est le bon génie de Rhoda, comme sa femme mon bonange ! »

La femme de chambre ayant quitté la pièce,Iris fit savoir à Hugues à quel point elle était surprise desrelations amicales établies entre lui et le docteur par la table,cette entremetteuse de bonne amitié.

« Le seul fait de l’avoir invité à dîneravec vous, dit-elle, le connaissant à peine pour ainsi dire, mesurpasse. Vrai, Hugues, vos politesses, vos sympathies subites nelaissent pas de m’étonner ! Longtemps j’ai cru M. Vimpanyindigne de sa femme, mais, surtout, n’allez pas en conclure que jeressens de l’ingratitude envers le docteur, loin de là, car lessoins qu’il a donnés à ma femme de chambre, lui ont acquis toute mareconnaissance, seulement, j’avoue ne pas comprendre à quoitiennent vos égards pour lui. »

Iris continua sur ce ton enjoué et persifleur,sans se douter des questions brûlantes qu’elle remuait.

Montjoie essaya, mais en vain, de rompre leschiens.

« Non,… non,… poursuivit-elle, avec uneobstination malicieuse, le sujet a trop d’intérêt pour y renoncer.Je voudrais bien savoir sur quoi la conversation a roulé pendantvotre dîner ? Dites-moi, d’abord, si votre convive n’a pas buplus que de raison ? Il me semble l’entendre d’ici vous prierde lui passer et repasser la bouteille en disant : faitesexcuses… »

Hugues très surexcité reprit :

« De grâce, Iris, parlons d’autre chose.J’ai à vous transmettre des nouvelles de chez vous. »

Ces paroles produisirent sur la gaieté de soninterlocutrice, l’effet d’une douche d’eau glacée.

« Des nouvelles de mon père !demanda Iris d’un ton anxieux.

– Vous l’avez dit.

– Doit-il venir ici ? ajouta lajeune fille.

– Non pas, mais il m’a écrit, réponditMontjoie.

– Une lettre ?

– Non, il m’a répondu par un télégramme.Je crois que nous avons ville gagnée.

– Quoi,… il a consenti à uneréconciliation ? »

Après avoir passé le télégramme à Iris,Montjoie poursuivit :

« Sachez que j’ai demandé àM. Henley, s’il consentirait à vous recevoir, de répondresimplement par un oui ou par un non, à ma question. Il eût pu,certes, me communiquer sa décision d’une manière plus aimable,mais, enfin, elle vous est favorable. »

Dépliant le télégramme, elle le lut ets’écria :

« Il faut convenir que l’on chercheraiten vain de par le monde, un autre père capable de répondre à safille, qui le prie et le supplie de l’autoriser à l’aller voir, parces mots : Oui, mais sous condition.

– Vous n’en êtes pas offensée, aumoins ? »

Hochant la tête avec amertume, Irisreprit :

« Hélas ! je le connais trop bienpour lui en vouloir. Quoi qu’il arrive, je resterai l’esclave demes devoirs filiaux. Maintenant, je n’ose espérer que vous restiezà Honey Buzzard aussi longtemps que moi. Je me rendrai près de monpère seulement la semaine prochaine. Je vous serais même trèsobligée de vouloir bien lui écrire mes intentions.

– Excusez-moi si j’insiste, reprit Huguesd’un ton impassible, mais je tiens à vous faire remarquer que cetajournement n’a pas sa raison d’être : moins vous tarderez àretourner près de votre père, plus vous aurez de chance dereconquérir son affection. Mon projet, sachez-le, était de vousreconduire par le premier train, aujourd’hui même.

– Vous ne parlez passérieusement ?

– Si fait. Quel motif pouvez-vous avoirpour vous éterniser ici ?

– Ah ! Hugues, combien vousm’étonnez ! Que sont devenus les sentiments de justice et debonté dont je vous ai toujours vu animé pour autrui ? Et machère bonne madame Vimpany donc ?

– Que diantre ! s’écria soninterlocuteur, Mme Vimpany a-t-elle à voir làdedans ? »

D’une voix fâchée et frappant du pied, Irisreprit en s’échauffant :

« Comment, ce qu’elle a à voir làdedans ? Après ma promesse de l’accompagner dans desexcursions aux environs, vous me conseillez de la planter là, commeun vieux vêtement hors d’usage. Il me paraît, Hugues, dit-elled’une bouche frémissante, qu’après les jugements téméraires quej’ai portés sur elle, une telle conduite de ma part seraitinqualifiable. »

Tout d’abord. Montjoie eut quelque peine à secontraindre, mais devant une telle explosion de colère, il compritqu’il devait taire encore à Iris le rôle odieux que jouait en cemoment l’ancienne actrice : insister sur les devoirs filiauxd’Iris était la seule ressource qui lui restât !

Hugues reprit :

« La vivacité de vos impressions. Iris,peut seule expliquer un pareil emportement. Des considérationsd’aussi peu d’importance que des excursions champêtres en compagnied’une personne que vous connaissez à peine, doivent disparaîtredevant la nécessité de retourner au plus vite près de votrepère ; toute autre décision n’aurait pas le sens commun ;mais, chut ! voici Mme Vimpany enpersonne ! »

L’instant d’après, elle rentra dans lesalon ; elle revenait de l’hôtel, où elle était allée faire lascène que nous savons à son mari. La physionomie surexcitée d’Irisn’échappa pas aux yeux clairvoyants, profonds et lucides, de lasurvenante. Dissimulant son anxiété sous ce sourire perpétuel qui,à la scène, sert de refuge à tant d’importants secrets, elleprononça quelques mots d’excuses et attribua à des motifs sansimportance l’agitation de miss Henley. D’après les calculs deMme Vimpany, il était matériellement impossible queM. Montjoie eût eu le temps de communiquer à Iris le secretqu’il venait d’apprendre.

En cet état de choses, Hugues proposatraîtreusement à cette dame de la faire juge du différend survenuentre Iris et lui.

« C’est un cas des plus simples, fit-il.Le père de miss Henley la rappelle près de lui après une brouillequi les tenait éloignés depuis quelque temps. En pareil cas, desengagements antérieurs peuvent-ils, suivant vous, s’opposer à laréalisation de ce projet ? Bref, est-il à craindre qu’Irisplaide en vain près de vous le bénéfice des circonstancesatténuantes, en vous priant d’excuser ce départprécipité ? »

Se tournant du côté de miss Henley, ellerépondit :

« Croyez, ma chère Iris, que je feraitoujours passer vos intérêts avant les miens ; partez ;maintenant, c’est moi qui vous y engage. »

En prononçant ces paroles,Mme Vimpany versa quelques larmes, des larmesd’actrice, les plus seyantes de toutes ! Ses poses étudiées etdramatiques lui donnaient l’air d’une statue duSacrifice !

« Je me propose même de vous rendreencore quelques petits services, en vous aidant à faire vospréparatifs de départ. »

Se rapprochant de miss Henley,Mme Vimpany la remercia par un chaleureuxbaiser ; elle ajouta :

« Restez persuadée, ma chère enfant, quele souvenir de votre bonté et de votre affection me rendradorénavant ma solitude moins pénible à supporter.

– Mais j’espère que notre séparationn’est que momentanée, reprit Iris, et que nous nous retrouverons àLondres, à moins que le docteur ne renonce à son projet de quitterHoney Buzzard.

– La détermination de mon mari estirrévocable, il veut tenter la chance à Londres, comme ondit ; vous me donnerez votre adresse, n’est-cepas ? »

Iris accéda à son désir immédiatement.

En réalité, aux yeux de Montjoie, le véritabledanger, pour miss Henley, était l’éventualité de rencontrer lordHarry sous le toit du docteur, si elle s’obstinait à y prolongerson séjour. Aussi résolut-il de jeter séance tenante à la face mêmede Mme Vimpany, l’accusation de n’être quel’espionne stipendiée d’un grand seigneur dévoyé. Sur ce, il lasomme de montrer la lettre recommandée et le diamant qu’elle a reçuen présent.

Pendant que la délicatesse de Hugues hésitaitencore à infliger un tel affront à une femme, la conversation entreMme Vimpany et Iris avait pris fin. L’ancienneactrice s’alla mettre à la fenêtre, tenant ostensiblement unmouchoir à la main. Était-ce un signal convenu ?

De son côté, miss Henley, touchée aux larmesde la longanimité dont Hugues avait fait preuve à son égard,s’avance vers lui, disant d’une voix émue et empreinted’inquiétude :

« Je vous fais mes excuses ; vous nem’en voulez pas, j’espère, de la vivacité avec laquelle je vous aiparlé tout à l’heure ? vous avez toujours été pour moi d’unebonté extrême ; puis-je encore faire fonds sur votreindulgence et croire que vos dispositions à mon égard resteront lesmêmes que par le passé ? »

En ce disant, Iris tend la main à Montjoie, etil la porte à ses lèvres. Au même moment, la porte du salon s’ouvrebrusquement. De tous les hommes habitant le globe terrestre, celuidont Iris redoutait le plus la présence, se trouvait là en faced’elle. La victime du château-margaux avait obéi scrupuleusement àl’ordre de faire le guet dans la rue, jusqu’au signal du mouchoir àla fenêtre. Bien et dûment seriné, chapitré et endoctriné par sonhabile moitié, on pouvait supposer, sans lui faire tort, qu’ilavait le désir de retourner dîner à l’hôtel avec HuguesMontjoie.

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