C’était écrit

Chapitre 34

 

Le jour suivant, en voyant apparaître chez luila dernière personne sur laquelle il comptât, Hugues croyaitrêver : malgré l’invraisemblance de la chose, c’étaitMme Vimpany ! mais qu’elle étaitvieillie ! Après avoir renoncé à faire usage du fard, sonteint était couleur citron et sa peau craquelée comme une potichejaponaise ; sa chevelure, autrefois teinte en noir, trahissaitaujourd’hui les ravages de l’âge. C’étaient bien les mêmes traits,mais grossis ; le même ovale, mais épaissi ; les mêmesyeux, mais sans flamme. Vêtue naguère avec élégance, elle portait,ce jour-là, une méchante robe brune, fripée, qui laissait pourtantvoir encore la beauté de sa taille et la grâce de ses mouvements.D’entrée de jeu, en voyant Montjoie, elle dit :

« N’avez-vous pas d’objection à échangeravec moi une poignée de main ?

– Certes, non ; pourquoi ?

– Je ne peux me flatter, hélas ! devous avoir laissé de bien bons souvenirs, repritMme Vimpany. Vous n’ignorez plus, je suppose, queje suis séparée de mon mari ? Connaissant M. Vimpanycomme vous le faites, vous pouvez deviner ce que j’ai souffert etpourquoi je l’ai quitté. Si vous revoyez jamais le docteur, évitezavec soin de lui donner l’adresse de lady Harry.

– De grâce ! appelez-la Iris toutcourt, comme je le fais moi-même, dit Montjoie.

– Je sais pertinemment, repritMme Vimpany avec ce sourire affecté des gens dethéâtre, à quelle date elle s’est mariée ; ce qui perd lesfemmes, voyez-vous, c’est de ne connaître les hommes que trop tard,ou même de ne pas les connaître du tout. Sans vouloir désespérer deson sort, je sens pourtant que la crainte l’emporte sur l’espéranceet, je l’avoue, mes inquiétudes sont grandes ! Iris m’inspireune si profonde affection. Si, en réalité, je me suis amendée,c’est bien grâce à elle. Ah ! sans elle, je n’eusse pointsenti le besoin d’expier mon passé par le dévouement et la charité.Je me demande seulement, si toutes les pécheresses trouvent aussidifficile de faire peau neuve !

– Est-il indiscret de vous demandercomment vous vous êtes libérée de cette servitude ? demandaMontjoie.

– Mes débuts dans la bonne voie ont été,j’en conviens, très malheureux. À peine entrée au couvent, jerésolus d’en sortir, trouvant médiocrement édifiantes leschamailleries incessantes des nonnes au sujet des officesreligieux, des prêtres, des ornements d’église, des cierges, quesais-je ? Là, je pus me convaincre que la charité chrétienneétait en réalité plus grande chez les médecins, que chez les bonnessœurs ; si je vous parle ainsi de moi, c’est que j’ai mesraisons pour cela. Au nombre des malades faisant partie de monservice, il y avait une femme âgée que je dus accompagner dans lemidi de la France ; à mon retour, je voulus étudier à Parisles progrès accomplis dans le service des hôpitaux. C’est à cetteépoque que le hasard me fit rencontrer Iris.

– Le hasard ? répéta Montjoie.

– J’en suis encore à me demander commentune rencontre si extraordinaire peut se produire. Lord Harry etIris, attablés devant un café du boulevard, regardaient passer leflot humain. C’est au moment où je frôlais Iris que, d’un coupd’œil rapide, elle me reconnaît. De l’air le plus naturel du monde,lord Harry vient à moi, me ramène près de sa femme et tous deuxm’invitent à être leur commensale. En pénétrant dans leur intérieuret en vivant dans leur intimité, j’ai pu me rendre compte de leurvie privée et de la douceur de leur lune de miel. »

Montjoie l’invite à continuer ce récit, remplid’intérêt pour lui.

« Vraiment ? repritMme Vimpany, même si je vous apprends qu’elle estparfaitement heureuse ?

– Eh, mon Dieu, oui ! fit-il enpoussant un soupir d’exilé qui songe à sa patrie.

– Alors, je continue. D’abord, je déclareque lord Harry est un homme aimable, charmant et irrésistible, mêmeaux yeux d’une vieille femme comme moi ; l’agrément de sonesprit et la rondeur de ses manières m’ont ravie. Sans doute, sonentrain endiablé serait taxé de folie par les fils de laflegmatique Albion, boutonnés d’ordinaire jusqu’au menton, peuimporte ! L’une des idées les plus cocasses de cet êtrebizarre, c’est de vivre lui et sa femme comme un étudiant et uneétudiante du quartier latin. Dînent-ils au restaurant, il leur fautun cabinet particulier ; vont-ils à un bal public, il faitdanser Iris toute la nuit. S’il lui arrive de prendre part à undéjeuner de garçon, il en revient les poches pleines de friandisesvolées au dessert pour sa jeune femme, pour son ange, comme ill’appelle. Je l’ai entendu dire à Iris : « Si j’ai unepointe d’ivresse, ma chérie, il ne faut vous en prendre qu’àvous ; j’ai étonné tout le monde par le nombre exorbitant deverres de vin de Champagne que j’ai sablés à votre santé ;mais, à partir d’aujourd’hui, je refuserai toute invitation quidevra me priver de la société de ma petite femme adorée ». Or,avec lord Harry, autant en emporte le vent !

– Comment ai-je pu entendre parler silongtemps de ce bohème, riposta Montjoie avec vivacité.

– J’ai mes raisons pour vous faire subircette épreuve, répondit Mme Vimpany ; je merésume : lord Harry va continuer à s’aboucher avec des gensméprisables, à brûler la chandelle par les deux bouts et enfin,j’ai la conviction qu’il en arrivera à faire des choses dont ilrougirait aujourd’hui. Bref, quand j’envisage l’avenir, je trembleet j’ai peur ! »

Hugues reprit d’une voix malassurée :

« Tant que je conserverai un peud’influence sur Iris, j’ai bon espoir qu’elle saura tenir tête auxbourrasques de l’existence. Voulez-vous me donner sonadresse ?

– Oui, mais seulement en échange d’unepromesse ?

– Laquelle ?

– C’est que vous n’irez la trouver qu’encas d’urgence.

– Comment pourrais-je connaître lavérité ? demanda Hugues.

– Vous la connaîtrez par moi. Iris m’aécrit que s’il survenait quelque chose qu’elle ne pût confier aupapier, sa femme de chambre me l’apprendra à coup sûr.

– Peut-on compter sur Fanny Mire ?objecta Montjoie.

– Son extérieur impénétrable ne parle pasen sa faveur. Après avoir causé longuement avec elle, je reste,toutefois, persuadée que cette étrange créature a la reconnaissancela plus profonde pour sa maîtresse. À coup sûr, elle sauram’avertir à temps. Toutes ces considérations réunies, vousdécideront-elles à me venir voir avant votre départ pourParis ? Allons, pas de tergiversations…, dites oui ounon ?

– Eh bien ! c’est oui »,répondit Hugues.

Cet entretien terminé,Mme Vimpany lui donna, sous le sceau du secret,l’adresse d’Iris et s’engagea même à transmettre à l’occasion à soninterlocuteur des nouvelles de leur intéressante amie.

Cela dit, ils se séparèrent.

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