C’était écrit

Chapitre 61

 

Qu’allait-elle faire de ce terriblesecret ?

D’abord, il fallait informer le chef de lapolice ; or, à cela, il y avait deux objections : lapremière, c’est que la garde-malade pouvait s’être trompée, encroyant Oxbye passé de vie à trépas ; la seconde, qu’elle,Fanny Mire, avait été seule à le soigner jusqu’à la veille de samort. En somme, qui est-ce qui empêcherait le docteur de faireretomber sur elle la responsabilité du crime ? Elle fit laréflexion que le Danois était resté seul dans la matinée ; laveille, un mieux sensible s’était déclaré : puis, l’obligationd’avouer qu’elle s’était cachée dans la ruelle lui coûtaitterriblement !

N’avait-on pas déjà administré du poison àl’infortuné Danois, quand elle avait entendu le bruit des pas dudocteur ? Étant d’une profonde ignorance sur les symptômes etles effets des toxiques, elle se disait qu’au total, l’ensemble desfaits impliquerait des choses écrasantes contre elle. Enconséquence, elle résolut de rester tranquillement à Paris, cejour-là, et de ne prendre le train pour Dieppe que le soir. Ellevoulait mettre tout d’abord Mme Vimpany et HuguesMontjoie dans le secret. Quant à savoir ce qu’elle dirait à ladyHarry, elle s’en rapporterait à l’avis des autres.

Arrivée à Londres, elle se rendit directementà l’hôtel de M. Montjoie. Il sommeillait doucement :Mme Vimpany était près de lui dans le salon. Dèsqu’elle aperçut Fanny, elle lui dit :

« Quelque nouvelle que vous ayez à luicommuniquer, évitez pour l’instant de le réveiller. Sa complèteguérison dépend de son repos physique et du calme de son esprit.Voilà, fit-elle, en montrant du doigt une table, une lettre demilady. Hélas ! j’ai peur d’en avoir deviné lecontenu !

– Que peut-elle avoir à dire àM. Hugues Montjoie ? demanda Fanny.

– Toujours est-il que ce matin même, jesuis passée chez elle, et qu’elle était partie.

– Quoi, partie… milady… Ciel ! oùest-elle allée ?

– Où supposez-vous qu’elle puisse êtreallée ?

– Chez lord Harry ; non, je merefuse à croire une chose pareille ; oh ! c’est tellementplus terrible, plus effroyable que tout ce que l’on peut sefigurer !

– Expliquez-vous de grâce. Ce que jesais, c’est que le cocher a dû conduire milady à VictoriaStation. Voilà tout ! À coup sûr, elle va rejoindre lordHarry ; depuis qu’elle est ici, elle est préoccupée etvisiblement malheureuse, M. Montjoie s’est montré, commetoujours, d’une bonté parfaite, bonté qui n’a pas réussi cependantà chasser de l’esprit de lady Harry les papillons noirs, comme ondit. Je me demande, savez-vous, si elle regrette lord Harry, oubien si elle fait, entre lui et M. Montjoie, des comparaisonstoutes à l’avantage de ce dernier. Bref, depuis qu’elle a quitté laFrance, elle n’a jamais retrouvé son entrain. Au fond, elle se serafait des reproches d’avoir quitté son mari, sans avoir pour celades raisons suffisamment graves.

– Des raisons suffisamment graves !répéta Fanny. Ah ! elle en a plus qu’il n’en faut pour planterlà une centaine de maris !

– Rien au monde ne pouvait dissiper satristesse, reprit Mme Vimpany, je l’ai, une fois,accompagnée à une ferme où demeure son ancienne femme de chambre,Rhoda ; cette personne est sur le point d’épouser le frère dufermier de lord Harry. Milady a écouté, mais d’une oreilledistraite, les récits de la fiancée, et enfin, au moment derepartir, elle lui a fait présent d’une bague. Malgré tout, ilétait évident qu’elle avait l’esprit ailleurs ;… bien sûr,elle songeait tout le temps à lord Harry. Pour mon compte, j’aitoujours cru que les choses finiraient ainsi… Mais que diraM. Montjoie quand il ouvrira la lettre de milady ?

– Mon Dieu, que faire, que devenir !s’écria Fanny.

– Je voudrais avoir votre avis sur lasituation.

– Mon désir eût été de parler d’abord àM. Montjoie. Enfin, je vais vous en dire la raison,quoique…

– Oh ! je devine qu’il s’agit de monmari, reprit Mme Vimpany d’un ton animé. Je vousjure que cette considération ne doit pas vous arrêter ;…parlez. »

Fanny raconte alors le drame et toutes sesépouvantables péripéties depuis le commencement jusqu’à la fin.

« Grand Dieu ! Quelle chance quevous m’ayez fait ces révélations plutôt qu’àM. Montjoie ! Il importe extrêmement de les lui cacher,de même que votre présence ici ; s’il se doutait del’effroyable vérité, rien ne saurait l’empêcher de partir pour laFrance, c’est-à-dire pour Passy. Il ne reculera devant aucunefatigue, devant aucune démarche, pour retirer lady Harry du guêpieroù elle s’est fourrée. Pour le moment, il est encore trop faiblepour entreprendre un voyage et pour tenir tête à mon coquin demari.

– Que faire alors ? demandaFanny.

– N’importe quoi, plutôt que de laisserM. Hugues Montjoie intervenir entre le mari et la femme.

– Ah ! si vous saviez ce qu’est cemari, Mme Vimpany, dit Fanny d’une voix vibrante.Il était présent quand le pauvre Danois a été empoisonné ;… ille savait,… il restait là immobile, pâle comme un marbre… etmuet ! Oh ! si j’avais pu lui arracher des mains ce fatalbreuvage ! Lord Harry, lui, n’a pas bougé ! c’esthorrible,… horrible !

– Ne comprenez-vous pas ce que vous avezà faire, Fanny ? »

Observant le silence de son interlocutrice.Mme Vimpany ajouta :

« Notez bien que mon mari et lord Harry,ignorent encore que vous avez été témoin du crime. Vous pouvez doncretourner à Passy sans courir le moindre risque, en sorte que, quoiqu’il arrive, vous serez là pour protéger lady Harry. En votrequalité de femme de chambre, il vous sera possible de rester prèsd’elle jour et nuit, tandis que M. Montjoie ne pourrait lavoir que de temps à autre, et encore à la condition de ne se pasquereller avec lord Harry.

– Ce que vous dites là est juste,répondit Fanny. Alors, vous êtes d’avis que je retourne àPassy ?

– Oui, immédiatement. Lady Harry étantpartie hier soir, vous serez près d’elle vingt-quatre heures aprèsson arrivée à Passy.

– Alors, je pars, dit Fanny en se levant.Ah ! qu’il est pénible de rentrer dans cette horrible maison,avec cet homme que je méprise ! Pourtant, je n’hésite pas uninstant ; ce qui doit arriver arrivera. Tout en ayant laconviction que mon voyage est inutile, je le ferai et je prendraile premier train.

– Vous m’écrirez dès votre arrivée,Fanny ?

– Je vous le promets,adieu ! »

Sur ce, Mme Vimpany resta prèsde Montjoie qui continuait à dormir du sommeil du juste. Quand ilaura recouvré force et santé, pensait-elle, on pourrait luiapprendre la vérité. Puis, même alors que l’on est la femme du plusexécrable des maris, l’on ne peut entendre de sang-froid l’histoireque Fanny Mire venait de raconter.

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