C’était écrit

Chapitre 29

 

Durant l’espace d’un mois, Montjoie resta dansson cottage sur le bord de la mer, à surveiller les réparationsdevenues urgentes. Sa correspondance avec Iris, pour régulièrequ’elle fût, lui causait, pourtant, un véritable désappointement.Les lettres qu’il recevait d’elle dénotaient un changement étrangedans sa manière d’écrire, changement qui s’accentuait davantage àmesure que le temps s’écoulait. Comment ! après lui avoirraconté avec tant d’effusion, tout dernièrement encore, ses joieset ses chagrins, elle se bornait, maintenant, à des allusionsvagues et réservées !

Les variations atmosphériques, le départ deson père pour le continent et les inquiétudes ressenties par lui ausujet des valeurs étrangères qu’il avait en portefeuille,remplissaient ses lettres, avec de nombreuses questions au sujet dela nouvelle demeure de Hugues ; en somme, tout cela était ditd’une façon diffuse et ondoyante. Bref, il finit par deviner le motde l’énigme ; en proie à une jalousie qui le torture, il nepeut se méprendre sur l’ardeur des sentiments que lui inspire missHenley. Sous cette impression, il prend la résolution d’abandonnerla surveillance de sa bâtisse à un homme digne de confiance etd’aller en personne, porter cette fois sa réponse à Iris.

Le lendemain, il se rend à Londres ; ilva immédiatement chez miss Henley ; là, il apprend qu’elle estsortie et que l’on ignore même l’heure de son retour ; bienmécompté, il multiplie ses questions. Entre temps, la porte de labibliothèque s’ouvre, et la voix de M. Henley se faitentendre.

« Est-ce vous, monsieur Montjoie ?demande-t-il vivement ; entrez, entrez, j’ai à vousparler. »

Le père d’Iris, homme petit, trapu, vigoureux,aux lèvres minces, aux yeux verts, faux, n’appartenait point, àcoup sûr, à la catégorie fort nombreuse, d’ailleurs, des gens sanscœur qui, d’entrée de jeu, inspirent la défiance. Loin de faire unaccueil aimable au nouvel arrivant, M. Henley arpente la pièced’un air distrait, en marmottant des paroles incohérentes. Pourcelui qui connaissait le pèlerin, il était clair qu’il ruminait etcombinait de tirer les écrevisses de leur trou, avec la patted’autrui. Montjoie était donc tout indiqué pour remplir cetoffice ; haussant la voix, M. Henley articule les motssuivants :

« Pourriez-vous me dire si vous savez cequi arrive à ma fille ? »

Le regardant fixement, Montjoierépondit :

« Moi ? mais vous ne parlez passérieusement, je suppose. Je viens de passer un mois en Écosse,loin du monde et de mes amis.

– C’est possible ; cela n’empêchepas que vous êtes en correspondance avec Iris, n’est-il pasvrai ?

– Oui, monsieur.

– Ne vous a-t-elle pas dit…

– Pardon, monsieur, de vous interrompre,mais elle ne m’a absolument rien dit.

– Vous savez, jeune homme, poursuivit soninterlocuteur, en fixant les yeux sur la bibliothèque pleine delivres richement reliés (mais jamais ouverts), que lorsque vousétiez mon hôte à la campagne, je me flattais de voir votre séjourchez moi se terminer par des fiançailles. Or, vous et Iris, vousm’avez causé, cette fois-là encore, une véritable déconvenue. Or,toutes les jeunes filles sont plus ou moins des girouettes ;Iris peut vouloir demain, ce qu’elle a refusé hier.

– Pourquoi nous livrer à toutes cessuppositions ?

– Du moins, trouvez bon que je m’informesi ma fille vous inspire quelque intérêt ?

– Oui, l’intérêt le plus vrai, le pluspassionné ! riposta Hugues.

– À la bonne heure ! s’écria soninterlocuteur dont la physionomie s’éclairait à l’idée du succès deson projet matrimonial. Votre déclaration péremptoire m’autorise àm’épancher avec vous. Écoutez-moi : de retour depuis quelquesjours seulement, d’un voyage d’affaires sur le continent, je mesuis aperçu de prime abord que ma fille n’était point dans sonassiette ; tout le monde aurait pu en être frappé ; maisà quoi bon la questionner ! pensais-je. Elle se gaussera demoi et me répondra qu’elle se porte comme un charme. Alors, j’aifait subir un interrogatoire à sa femme de chambre, grande fillepâle comme un concombre et menteuse comme une oraison funèbre,mais, là encore, je n’ai pu rien obtenir. Or, c’est fort humiliantd’être pris pour dupe ! Résolu à avoir le dernier mot, j’aimis la femme de chambre sur la sellette et j’en ai conclu qu’elle aune propension marquée à la malveillance. « Ah ! oui,certainement, m’a-t-elle répondu, on a bien des choses à dire àMonsieur,… les domestiques jasent de miss Iris à motscouverts ; ils ont même observé qu’elle se promène chaque jourrégulièrement dans l’après-midi et toujours dans la mêmedirection ; au lieu d’encourager les camarades dans leurspotins,je leur ai dit que miss Henley faisait une simplepromenade. – Une promenade ! se sont-ils écriés en riant à setordre les côtes : sur ce, je les ai invités à a setaire. »

« Voyons, avouez que les allées et venuesde ma fille sont suspectes ? »

Montjoie reprit de l’air le plus naturel dumonde :

« J’en conclus qu’elle va chez uneamie !

– Toujours chez la même amie,alors ? De guerre lasse, j’ai pris pour confident, ledomestique que j’ai chargé de faire votre service quand vous étiezchez moi ; j’ai déjà plusieurs fois utilisé son flair. Donc,hier, au moment où Iris sortait, je lui ai dit de la suivre ;elle s’est arrêtée, paraît-il, dans un misérable quartiernommé : Redburn-road.Parvenue au numéro 5, elle tirale cordon de la sonnette. À sa manière d’entrer dans la maison, ondevinait qu’elle en connaissait toutes les issues. D’après lesrenseignements que mon domestique a fini par se procurer, c’est lademeure d’un docteur appelé M. Vimpany.

Montjoie éprouva comme une secousseélectrique.

« Voyons, dites-moi, en homme d’honneur,si cette conduite n’a pas lieu de paraître insolite ?Ah ! vous vous taisez ; eh bien ! je vais vous diretoute ma pensée.

– Parlez, monsieur, le moment desexplications est arrivé.

– Sachez donc que, lorsque Iris est chezmoi et que je sens du trouble dans l’air, je suspecte naturellementlord Harry d’y être pour quelque chose ; j’ai mes raisons pourcela, vous savez. J’étais sur le point de faire atteler et d’allerchez le docteur, afin de savoir de visu quel genre dedistraction sa maison offre à ma fille, quand j’ai reconnu votrevoix. Or, du moment que vous m’avez déclaré qu’Iris vous inspire unintérêt passionné, vous êtes tout indiqué pour servir mesdesseins.

– Et de quelle façon, s’il vousplaît ?

– Pardieu ! en cherchant à provoquerses épanchements. Sans doute, elle vous fera l’honneur de sesconfidences, plutôt qu’à moi. Il m’importe extrêmement de savoir sielle veut épouser lord Harry. Éclairez-moi sur ce point, et je metiendrai pour satisfait. Quant au reste, je m’en soucie comme del’an quarante ! »

D’indignation, Montjoie fit un sursaut.Quoi ! s’insinuer dans les bonnes grâces d’Iris, pour latrahir près de son père ! Sur ce, il bondit hors de sonfauteuil et, oubliant ses habitudes de politesse, il s’avance ducôté de la porte. Alors le vieillard, le rappelant,s’écria :

« Est-ce un refus, monsieur ?

– Assurément », riposta Montjoie ens’éloignant à toutes jambes.

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