C’était écrit

Chapitre 8

 

Rhoda fit, ainsi qu’il suit, le récit de cequ’elle venait de lire :

« Un vieux comte irlandais avait deuxfils, dit-elle. Le plus jeune était connu mystérieusement sous lesobriquet du sauvage lord.On accusait le comte de n’avoirpoint été un bon père et même on disait qu’il s’était montré cruelenvers ses enfants ; le cadet, abandonné à lui-même, eut unejeunesse des plus aventureuses ; sa première prouesse fut des’évader du collège ; puis, il réussit à être embarqué commemousse ; il apprit vite le métier et se fit bien voir ducapitaine et de l’équipage, mais le contremaître, homme brutal s’ilen fut, infligea au jeune matelot des punitions corporelles qui nonseulement l’humilièrent, mais le décidèrent à aller chercher dameFortune à terre. Là, une troupe de comédiens ambulants sel’adjoignit et bientôt, il obtint de véritables succès sur lesplanches ; or, le contact perpétuel des acteurs et l’autoritéd’un directeur, lui firent prendre le métier en grippe ; d’unenature emportée et indépendante, il se jeta après cela dans lejournalisme, mais une malheureuse affaire d’amour le fit renoncer àla presse.

« À peu de temps de là, il fut reconnucomme maître d’hôtel d’un paquebot transatlantique, faisant leservice entre Liverpool et New-York. Puis, il donna des séances demédium ; or, le médium d’outre-mer abusait étrangement del’irrésistible ascendant que les sciences occultes exercent à notreépoque, sur certains esprits faibles. Bref, pendant un certaintemps, on n’entendit plus parler de lui. Enfin, un jour l’on appritqu’un voyageur égaré dans les prairies du Far West, avaitété trouvé moitié mort de faim : c’était le sauvagelord ! Il ne tarda pas à avoir maille à partir avec lesIndiens et il se vit abandonné par eux à son malheureux sort.

« Ainsi finirent ses équipées.

« Dès qu’il eut recouvré la santé, ilécrivit à son frère aîné, que la mort du comte venait de mettre enpossession du titre et de la fortune, lui disant qu’il voulaitmettre un terme à la vie de bohème qu’il avait menéejusque-là ; il ajoutait qu’on ne pouvait mettre en doute sondésir de s’amender. Or, le voyageur qui lui avait sauvé la vie,disait qu’il se faisait garant de sa bonne foi et de sasincérité.

« Par l’entremise de son notaire, lenouveau lord fit savoir à son frère, qu’il lui envoyait un chèquede 25 000 francs, somme qui représentait intégralement le legsqui lui revenait de son père. Il lui faisait savoir en outre, ques’il s’avisait jamais de lui écrire, ses lettres resteraient nonouvertes. En un mot, fatigué des frasques de ce vagabond, iln’entendait plus avoir de rapport avec lui.

« Après s’être vu traité de cette façoncruelle, le sauvage lord parut avoir à cœur de ne plus tenter aucunrapprochement avec sa famille. Il reprit ses anciens errements, selança dans de nouveaux paris avec les bookmakers. D’entréede jeu, dame Fortune sembla le favoriser ; or, avecl’infatuation habituelle des gens qui risquent le tout pour letout, il usa et abusa de sa chance ; bref, une nouvelle sautede vent le laissa sans un sou vaillant ! Alors, il revint enAngleterre où il fit l’exhibition de l’un de ces bateauxmicroscopiques sur lequel son compagnon et lui avaient accompli latraversée de l’Atlantique. À quelqu’un qui lui adressa uneobservation à ce sujet, il répondit qu’il avait espéré fairenaufrage et commettre ainsi un suicide en rapport avec la vieabracadabrante qu’il avait menée jusque-là. De toutes les versionsqui circulaient sur son compte, aucune ne semblait digne de foi. Àtout prendre, il y avait gros à parier que les nihilistesaméricains n’eussent englobé le sauvage lord dans les filets d’uneconspiration politique. »

La femme de chambre, lorsqu’elle eut fini sonrécit, put constater chez sa maîtresse une émotion qui ne laissapas de la surprendre. D’un air de bonté attristée, elle félicitaRhoda de sa bonne mémoire, puis garda le silence.

Des bribes de conversations avaient déjà mismiss Henley au fait des folies de lord Harry, mais ce compte rendudétaillé d’une vie dégradante, lui fit comprendre que son pèreavait eu raison de lui enjoindre de résister à cet attachementfatal. Or, il est un sentiment plus fort que le respect del’autorité paternelle, plus fort que les lois impérieuses dudevoir : c’est l’amour ! Oui, c’est une passionmaîtresse, souveraine, toute-puissante, qu’aucune influenceartificielle ne détermine et qui ne reconnaît de suprématie quedans la loi même de sa propre existence ! Cependant, si Irisne se reprochait en rien l’acte héroïque accompli par elle à laborne militaire, elle n’en reconnaissait pas moins la supérioritéde Hugues Montjoie sur ce cerveau brûlé ! Cependant son cœur,son misérable cœur restait fidèle à son premier amour, en dépit detout ! Elle s’excusa brièvement et alla se promener seule dansle jardin.

Il y avait un jeu de cartes à la ferme, aussiles trois femmes essayèrent-elles, mais en vain, d’en faire unmoyen de distraction.

Le sort d’Arthur pesait lourdement surl’esprit de Mme Lewson et de miss Iris ; mêmela jeune camériste, qui l’avait seulement vu lors de son dernierséjour à Londres, prétendait qu’elle désirait vivement que lajournée du lendemain fût déjà passée. Le caractère doux, la belletête, l’aimable enjouement d’Arthur, disposaient tout le monde ensa faveur. Mme Lewson s’était donc décidée àquitter sa bonne installation en Angleterre, pour devenir femme decharge chez lui, alors qu’il était décidé à prendre une ferme enIrlande.

Iris donna la première le signal de laretraite. Le silence pastoral du lieu avait quelque chose desinistre ; ses craintes au sujet d’Arthur n’en étaient queplus poignantes ; elles éveillaient même dans son esprit descraintes de trahison ; tantôt elle entendait le bruit deballes sifflant dans l’air ; tantôt, les cris déchirants d’unblessé et ce blessé était… Iris frémissait à la pensée seule de cenom ! Ayant eu un moment de vertige, elle ouvre aussitôt lafenêtre afin de respirer l’air frais de la nuit et aperçoit unindividu à cheval rôder autour de la maison. Ciel ! était-ceArthur ? Non, la couleur claire de la livrée que portait legroom était facile à reconnaître ; avant même qu’il eût frappéà la porte, un homme de haute taille s’avança à Iris versl’obscurité et demanda :

« Êtes-vous Miles ? »

Iris reconnut aussitôt la voix de lordHarry.

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