C’était écrit

Chapitre 52

 

Dans la soirée de ce même jour, Fanny Mire, enapportant le café dans la salle à manger, y avise lord Harry et ledocteur en tête à tête ; à son entrée, ils commencent à parlerfrançais ; elle s’arrange de façon à rester dans la pièce,sous le prétexte apparent de serrer différents objets dans lebuffet. Le sauvage lord tient le dé de la conversation ; ils’informe si le docteur avait réussi à se procurer une chambre prèsdu cottage ; son interlocuteur répond que non seulement il ena loué une, mais qu’il s’est, en outre, acheté un appareil dephotographie.

« Nous sommes donc en mesure de recevoirnotre intéressant Danois.

– Et quel jour viendra-t-il ?interrogea lord Harry, que dois-je dire à ma femme ? queva-t-elle penser en apprenant qu’un malade d’hôpital occupe votrechambre, que vous lui donnez vos soins et que tout cet arrangementa reçu mon approbation ? »

Le docteur, après avoir siroté son café,reprit avec un sourire abominable :

« Les autorités médicales ont bien admisl’histoire que nous avons forgée ; faites-la de même gober àvotre femme, pardieu !

– Ah ! vous ne la connaissezguère !

– Après tout, c’est votre faute si elleest encore ici, riposta le docteur après avoir allumé un cigare ets’être assuré de sa bonne qualité. Si vous m’aviez écouté, nousserions déjà débarrassés de la présence de lady Harry ;toutefois, je peux arranger l’affaire si vous m’y autorisez.L’important c’est de trouver une garde-malade pour notre jeunephtisique ; là gît la difficulté. »

À cet instant. Fanny est tellement absorbéepar ce qu’elle entend, qu’elle oublie son rôle, reste bouche bée etécoute. À la faveur du sens d’observation dont est doué le docteur,il s’aperçoit de la chose et dit en anglais en s’adressant àelle :

« Some fresh water, if youplease[1] ? »

Dès que la femme de chambre a quitté la pièce,il reprend, en français, cette fois :

« Nous sommes dans de jolis draps, moncher ! Le diable m’étrangle ! Fanny Mire comprend lefrançais !

– Allons donc, que dites-vous là,docteur !

– Tenez, vous allez voir ce qui en estdans un instant.

– À quel expédient allez-vousrecourir ?

– Je vais lui lancer de but en blanc uneinsulte à la tête. »

L’instant d’après, Fanny rentre tenant unecarafe d’eau qu’elle va placer devant le docteur. Alors, saisissantpar le bras la servante, il la dévisage et l’apostrophe endisant :

« Vous nous avez mis dedans,drôlesse ! »

La physionomie bouleversée de la camériste,son expression de stupeur et de colère, la trahissentinstantanément ; elle a l’air défait d’une condamnée devantses juges !

Lord Harry veut la mettre tout de suite à laporte de chez lui ; le docteur intervient.

« Non, non, il ne faut pas priverinopinément lady Harry d’une servante aussi accomplie, d’une femmede chambre sachant le français, mais qui est trop modeste pour enconvenir. »

Exaspérée de se voir prise la main dans lesac, Fanny veut quand même avoir le dernier mot ; ellereprit :

« Grâce à la connaissance que j’ai de lalangue française, je vous ai entendu dire, docteur, que vous avezbesoin d’une garde-malade pour soigner un jeune poitrinaire.Supposons que milord me prenne à l’essai ? »

L’insolence de la servante dépassait toutesles bornes. Lord Harry, hors des gonds, lui intime carrémentl’ordre de sortir immédiatement de chez lui.

Le docteur s’interpose et reprend d’un tonmielleux :

« Patience et longueur de temps font plusque force et que rage », puis s’adressant à Fanny, il dit avecun sourire hypocrite :

« Je vous ferai savoir dimanche prochain,si nous avons besoin de vos services. »

Lord Harry, sans désarmer, fait signe à Fannyde passer la porte ; puis, considérant le docteur avec effroi,bouleversé, il s’écrie :

« Cré nom ! avez-vous perdu laraison ?

– Du calme, du calme ; veuillezd’abord répondre à ma question : n’avez-vous pas quelquesgouttes de sang anglais dans les veines ?

– Si fait, force m’est d’en convenir,répondit le lord irlandais, ma grand’mère était Anglaise.

– Tant mieux, mon cher, cela me faitespérer qu’il y a en vous quelques grains de bon sens. Et bien,écoutez ceci : Fanny Mire est trop intelligente pour êtretraitée comme une simple servante ; je ne serais pas éloignéde croire que c’est une espionne stipendiée par lady Harry. Que jeme trompe ou non, le seul moyen dont je dispose pour me garer desgriffes du chat, c’est de la prendre comme garde-malade. Voyons,mon état mental vous inspire-t-il encore des craintes ?

– Oui, plus que jamais ! réponditson interlocuteur d’un ton animé.

– Vertu de ma vie ! Vous n’avez riende votre grand’mère. Alors, admettons que Fanny Mire veuille noustrahir ; cela ne nous fera ni chaud ni froid, comme on ditvulgairement. Que sait-elle de nos affaires, en réalité ?Qu’a-t-elle appris, je vous le demande ? Qu’un malade doitvenir ici ; mais à quelles fins ? Pourquoi ? Ellel’ignore totalement, puisque nous n’en avons soufflé mot. Sansdoute, elle nous aura entendu dire que lady Harry est un obstacle ànos projets, où est le mal ? Avons-nous jamais divulgué lesecret que nous sommes intéressés à cacher à votre femme ? Pasle moins du monde. Si cette rusée coquine devient la garde-maladed’Oxbye, elle s’associera sans doute à l’idée que nous poursuivons,c’est-à-dire la mort du Danois. Vous frissonnez ! Ma paroled’honneur, vous avez l’air de porter le diable en terre ! Cen’est pourtant pas d’un crime qu’il s’agit, mais d’une mortnaturelle, la consomption, la phtisie, les tubercules et lesmicrobes, par-dessus le marché ! le tout produira le résultatdésiré. Mon noble ami ! que votre conscience se rassure :où il n’y a pas de crime, il n’y a pas de mal ! »

Le lord irlandais, assis alors près de lafenêtre, recule vivement sa chaise.

« Si, dans ma famille, la race irlandaisen’est pas absolument pure de sang anglais, je vous affirme,Vimpany, que Satan, par contre, doit être quelque peu votrecousin.

– En tous cas, un cousinage diabolique mesemble préférable à un cousinage irlandais ! » s’écria lesatané docteur.

Il venait de lancer cette insolence, quandFanny, ouvrant la porte, le prévint qu’un employé de l’hôpital,attaché au secrétariat, désirait lui parler et lui faire savoir quele Danois acceptait l’hospitalité qui lui était offerte ; lecorps médical, de son côté, n’y mettait qu’une condition :c’est qu’une garde-malade compétente serait attachée à la personnedu Danois. Si la personne proposée à cet effet par M. ledocteur était en état de répondre avec succès à l’examen qu’onallait lui faire subir, le patient serait aussitôt transporté à sanouvelle demeure. Le lendemain, un événement domestique de premièreimportance, dépassant de beaucoup les prévisions humaines, seproduisit : M. Vimpany et Fanny Mire franchirent ensemblela distance qui sépare Passy de Paris !

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