C’était écrit

Chapitre 13

 

Hugues Montjoie entra en matière en faisantallusion à la seconde lettre d’Iris à son père et, à certainpassage où elle parlait de Mme Vimpany en termesaussi enthousiastes que reconnaissants, Hugues reprit :

« Ne pouvez-vous m’apprendre quelquechose de plus sur votre compagne de voyage devenue votrehôtesse ? Alors, vous l’avez rencontrée pour la première foisen chemin de fer ?

– Oui, elle voyageait dans le train deDublin, comme moi et ma femme de chambre, mais non dans le mêmecompartiment, répondit Iris ; nous avons lié conversationpendant la traversée de Dublin à Holyhead. La mer était si mauvaiseet Rhoda si malade, que je n’étais rien moins que rassurée. Lafemme de chambre du bord ne savait à qui entendre ; tout lemonde réclamait ses services ; je me demande même ce que jeserais devenue, si Mme Vimpany ne m’avait proposéses bons offices. Elle savait si bien soigner les malades, que jene laissai pas de m’en étonner. « Je suis la femme d’undocteur, me répondit-elle, et, en somme, je ne fais que ce que j’aivu faire à mon mari en pareille occurrence. »

« Quand nous débarquâmes à Holyhead,Rhoda était trop malade pour songer à la mener en chemin de fer.C’est la meilleure servante du monde, et j’y suis très attachée,comme vous savez. Si j’eusse été seule, j’aurais fait appeler unmédecin ; mais ma compagne, toujours empressée et serviable,me dit :

« L’état de votre femme de chambre, n’estque la conséquence d’une faiblesse extrême ; faites-luiprendre du vin frappé et du repos. Sous peu, elle pourra continuerà voyager sans inconvénient. N’ayez nulle crainte à sonsujet ; si vous permettez, nous la veillerons toutes les deuxce soir. » Or, ce qui fut dit, fut fait.

« Hein ! Hugues, connaissez-vousbeaucoup de femmes à en faire autant ?

– J’en connais très peu,hélas ! »

Le ton de Montjoie trahissaitl’inquiétude ; le dévouement de l’inconnue lui inspirait, eneffet, certains doutes, auxquels un galant homme répugnetoujours.

« Mme Vimpany, repritIris, finit par me persuader de poursuivre mon voyage jusqu’à laprochaine station qui était la sienne. « Mon mari, dit-elle,prescrira à votre malade un traitement qui, j’en ai la conviction,la remettra vite sur pieds. » J’acceptai sa proposition avecreconnaissance.

– Dites-moi, que comptiez-vous faire, aucas où Rhoda eût été en état de continuer ? demandaMontjoie.

– Aller à Londres et me réfugier dans unlodging. J’espérais que mon père finirait par venir àrésipiscence. Toujours est-il que cette rencontre de genscharitables, humains, dévoués comme M. etMme Vimpany, était une bénédiction pour moi etRhoda. Je désire vous faire faire la connaissance de cetteexcellente femme ; peut-être est-elle un peu guindée aupremier abord ; à ça près, je crois qu’elle vousplairait. »

Tout en parlant, Iris s’aperçut que Huguespromenait autour de lui des regards étonnés.

« Ah ! oui, mes nouveaux amis sontpauvres, effroyablement pauvres ; pourtant, ils n’ont consentià accepter ma quote-part des dépenses journalières, que sur mesmenaces de m’aller installer à l’auberge ; mais, dites-moi,Hugues, d’où vient votre air troublé et sombre ? Auriez-vousdes objections à me voir prolonger mon séjour ici ? »

Au moment qu’Iris prononçait ces dernièresparoles, la porte s’ouvrit et l’on vit entrer une dame d’âge moyen.Avisant un étranger dans la pièce, elle dit en manièred’excuse :

« Pardon ; j’ignorais que vouseussiez un visiteur. »

La voix bien timbrée, l’articulation claire,l’ensemble de la personne étaient empreints d’un charmeparticulier. Bref, la bonne grâce de cette dame prêtait même à unephrase banale, un cachet de distinction. Comme elle se disposait às’éloigner, Iris reprit :

« Permettez-moi de vous présenter monexcellent ami, M. Hugues Montjoie, à qui, du reste, j’ai déjàraconté toutes vos bontés pour moi et pour Rhoda. »

Le premier mouvement de Hugues fut non pas dese borner à un salut formaliste, mais de tendre la main à lasurvenante. Mme Vimpany, de son côté, répondit àcette avance avec une onction de geste, assez rare à notre époquede mouvements brusques et sans façons. L’art avait si parfaitementamélioré son teint, que l’on pouvait le croire naturel, bien queses joues amaigries eussent perdu la fermeté de la jeunesse ;sa chevelure, grâce peut-être aussi à de légers artifices, nelaissait percer aucuns fils blancs. Personne ne pouvait voir sansse récrier d’admiration, ses grands yeux noirs, un peu troprapprochés peut-être de son nez aquilin ; ses mains effilées,éburnéennes et décharnées, avaient conservé une élégancerare ; sa toilette recherchée jadis, fanée aujourd’hui,n’avait rien cependant de dépenaillé ; une dentelle usée,froncée en guise de collerette, retombait en jabot étriqué sur sapoitrine.

Elle prit un siège près de Hugues.

« Je ne saurais vous dire, monsieur,combien j’ai été heureuse d’offrir mes modestes services à missHenley ; sa présence égaye tant notre petitemaison ! »

Le compliment fut rehaussé par tout ce quepeuvent y ajouter les caresses de la voix et du sourire. Pourminaudière qu’elle fût, Mme Vimpany n’en éveillaitpas moins la sympathie. Disposé d’abord à la juger défavorablement,Montjoie revint bientôt de sa première impression. Il se demandaitcurieusement, ce que cette femme énigmatique avait bien pu être,alors qu’elle était dans tout l’éclat de sa beauté ?

Les regards de Hugues se portèrent tour àtour, sur les portraits de femmes, sur les pièces de théâtre etenfin sur la maîtresse du logis, pendant que cette dernière parlaitavec Iris. En réalité, se disait-il, il y a gros à parier que c’estune ancienne actrice !

Il résolut d’éclaircir ce mystère, en lançantinsidieusement une allusion flatteuse à ces portraits.

« Mes souvenirs, comme habitué desthéâtres, ne remontent pas à de longues années, dit-il, mais jen’en suis pas moins en état d’apprécier l’intérêt historique de vosbelles gravures. »

Sur ce, Mme Vimpany s’inclinasans souffler mot.

« Il est rare, poursuivit Hugues, qu’unemaison anglaise offre une pareille collection de portraitsd’actrices célèbres. »

Elle se borna à répondre :

« J’ai eu dans ma jeunesse d’agréablesrapports avec le théâtre. »

Montjoie croyait, mais à tort, que ce premiermembre de phrase serait suivi d’un autre plus explicite ;peut-être ne plaisait-il pas à sa taciturne interlocutrice deremonter le cours des années, ou bien avait-elle des raisonsparticulières pour l’abandonner à ses propres perceptions.

Iris prit la balle au bond ; assisedevant la seule table de la pièce et placée de façon à voir justedevant elle, la gravure représentant Mme Siddons enMelpomène, elle dit d’un air malin en pointant du doigt ceportrait :

« Je me demande siMme Siddons était réellement aussi belle que sonimage. Sir Josuah Reinolds passe pour avoir flatté sesmodèles. »

Soudain, les yeux deMme Vimpany s’animent et brillent d’un viféclat ; le nom de la célèbre actrice paraît lagalvaniser ; mais, au moment d’exprimer sa pensée, « ellegarde de Conrart le silence prudent ».

Déçu dans son attente, Montjoie se résigne àrépondre en s’adressant à Iris :

« Il ne nous appartient ni à l’un ni àl’autre, de trancher la question de savoir si le pinceau de sirJosuah s’est rendu coupable de flatterie. » Puis, se tournantdu côté de Mme Vimpany, il prit un autre moyen desonder le terrain en disant :

« Lorsque vous avez eu l’avantage,madame, de faire la connaissance de miss Henley, vous voyagiez enIrlande, n’est-ce pas vrai ? Était-ce votre première visite àcet infortuné pays ?

– Je suis allée plusieurs fois enIrlande… »

Or, à cet instant, une circonstance imprévuevint l’aider à démasquer les embûches de son interlocuteur. Lefacteur en faisant sa tournée, avait remis pourMme Vimpany un petit paquet cacheté et unimprimé.

« C’est un pli recommandé, madame, dit laservante. Veuillez signer cette feuille, le facteurattend. »

Après avoir griffonné vivement son nom,Mme Vimpany examine l’enveloppe de la lettre, puiselle la pose sur la table sans l’ouvrir, tout en s’excusant des’absenter un instant.

À peine la porte refermée, Iris bondit hors deson siège et se rapprochant de Hugues, elle dit d’une voix briséepar l’émotion :

« J’ai reconnu l’écriture de la lettrequand la servante est entrée.

– Bon Dieu ! Iris, à propos de quoicet effroi ?

– Parlez moins haut,Mme Vimpany nous écoute peut-être, quisait ! » reprit miss Henley.

Sur quoi, Montjoie s’écrie avec un grand aird’ébahissement :

« Comment ! votre amie,Mme Vimpany ?

– Il est évident, reprit Iris, qu’ellen’ose ouvrir ce paquet en votre présence. Comment ne l’avez-vouspas deviné ? Ah ! cette écriture ne m’est que tropconnue,… je sais, à n’en pas douter, qui a tracé ces lignes.

– Eh bien ! qui est-ce,parlez ? »

Alors se penchant vers Hugues, elle lui dit debouche à oreille : lord Harry !

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