C’était écrit

Chapitre 42

 

Lady Harry lève son voile et attache surHugues un regard implorant.

« Êtes-vous fâché contre moi ?demanda la survenante.

– Je devrais l’être, répondit Montjoie.Ce que vous faites est très imprudent.

– D’accord ; c’est même plusqu’imprudent, c’est un acte insensé ! Inutile à vous de medire que j’aurais dû agir avec plus de circonspection, car il ne semêle aucun regret à ma démarche. Je ne saurais vous laisser partirsans vous serrer la main, vous qui m’avez témoigné tantd’affection. Asseyez-vous à côté de moi sur ce sofa. Après la scènequi s’est passée entre vous et mon mari, il est probable, pour nepas dire certain, que nous ne nous reverrons plus. Je n’ose meflatter que vous en ressentiez un regret aussi déchirant que celuique j’éprouve. Votre patience et même votre bonté doivent en avoirassez de la malheureuse Iris !

– Si vous pensiez un mot de ce que vousdites, mon amie, vous ne seriez pas ici en ce moment ; tantque vous et moi appartenons au monde des vivants, il y a espoir denous revoir. Tout passe, tout casse, tout lasse, à commencer par lajalousie. J’ai appris de lord Harry lui-même qu’il est de natureondoyante. Il ne faut donc pas désespérer de l’avenir.

– Vous imaginez-vous que mon mari estbrutal avec moi ? Fanny a-t-elle… »

S’apercevant alors pour la première fois quela camériste n’est pas là, Hugues interrompit Iris etreprit :

« J’avais compris que vous ne deviez pasvenir seule. »

En effet, ce fait aurait pu être des plusgraves à relever contre lady Harry, au cas où l’on aurait découvertsa présence à l’hôtel.

« Fanny m’attend dans la voiture ;le cocher a ordre de monter et descendre la rue, jusqu’au moment oùje lui ferai signe d’approcher ; ne vous préoccupez pas decela. À propos, j’ai une chose à vous dire relativement àFanny ; il faut se mettre en garde contre ses exagérations.Quand elle parle de mes chagrins, elle s’imagine qu’il s’agit dessiens ; avec elle, un moucheron devient un éléphant.Puisse-t-elle, au moins, n’avoir pas noirci et calomnié lord Harry.Sans doute la passion de la jalousie est indigne d’un galanthomme ; les soupçons de mon mari m’ont cruellement offensée,mais il y a bien pis que lui. J’ai entendu parler de maris quijouent dans leur intérieur le rôle d’espions et qui ne confieraientpas ceci à leur femme, fit-elle en montrant la clef du cottage.Harry, du moins, n’a pas de ces méfiances révoltantes ; puis,il faut être juste : s’il est très prompt à dégainer, ildésarme aussi vivement. Il y a deux hommes en lui ; je l’aivu, en larmes, se prosterner à mes genoux et témoigner le plus vifrepentir de ses fougues irréfléchies. Notez qu’il ne sait pasfeindre. Chez lui, la jalousie monte et descend comme levent ; hier soir, au moment où son emportement était à soncomble, il m’a dit ceci : « Iris, si vous avez souci demon bonheur, n’encouragez pas M. Montjoie à rester àParis ».

– Désirez-vous que je parte ? ditHugues vivement.

– Ah ! je ne mérite pas cela,s’écria lady Harry ; tenez-vous donc à me faire de lapeine ? »

En prononçant ces mots, Iris se rapproche deMontjoie d’une façon que son seigneur et maître eût, à coup sûr,trouvée suspecte.

« Je me demande simplement, reprit soninterlocuteur, si mon départ rendrait votre vie plustolérable ? Si oui, je quitterai Paris demain. »

Iris offrit alors sa joue à baiser àMontjoie ; il l’embrasse longuement. Il est vrai qu’elle futla première à se reculer et à reprendre le fil de son discours.

« Tout à l’heure, reprit lady Harry,quand je vous entendais parler de ma situation par rapport à monmari, vous m’avez rappelé les services que vous m’avez rendus etles preuves de sympathie que vous m’avez données ; je vous engarderai une éternelle reconnaissance. »

Elle lui représente ensuite combien la vied’aventures de son mari avait creusé d’abîmes autour de lui ;elle en était plus convaincue que jamais ; il avait les nerfsétrangement montés et l’imagination exaltée ; c’était sansdoute l’action réflexe d’une lettre qu’il avait reçue d’Irlande,peu de jours auparavant, et qui contenait la nouvelle quel’assassin d’Arthur Montjoie était à Londres où il se faisaitappeler Carigeen. »

Hugues inféra de ce fait que la fascinationirrésistible qu’exerçait sur le sauvage lord l’idée de venger lemeurtre de Montjoie (laquelle d’ailleurs l’avait entraîné une foisdéjà à partir pour le sud de l’Afrique) agissait de nouveau surlui. Il n’avait pas dissimulé devant Iris que si cette nouvelle seconfirmait, il fallait s’attendre à le voir s’éloigner un jour oul’autre. Inutile, en tout cas, de rappeler à ce cerveau brûlé lesreprésailles terribles qui l’attendaient de la part desInvincibles, s’il remettait jamais le pied en Angleterre. Laseule chance qu’Iris pût avoir de retenir son époux sur cette pentefatale, c’était de condescendre à ses caprices, ou plutôt à sesexigences, à ses lubies. Montjoie se déciderait-il à partir dès lelendemain, alors que lord Harry exigeait comme une faveur del’inciter à décamper sur-le-champ ?

« Eh bien ! je serai demain àLondres, répondit Hugues ; mais n’est-il pas encore une autrechose que je puisse faire pour vous ? Si votre influence estinsuffisante à ébranler la résolution de lord Harry, n’existe-t-ildonc pas quelque mystérieuse puissance, qui puisse atteindreindirectement mon but ?

– Oui, cette mystérieuse puissance,répéta Iris, c’est Mme Vimpany. Non seulement, elleconnaît les circonstances de la vie du sauvage lord, mais aussiplusieurs de ses relations. Au cas où elle parviendrait à découvrirl’auteur de cette malencontreuse lettre, elle réussirait peut-êtreà empêcher ce mauvais plaisant d’écrire de nouveau à lord Harry. Decette façon, il se verrait dans l’obligation d’attendre la missiveannoncée, laquelle ne parviendrait jamais au destinataire, et pourcause ! Dans cette alternative, il ne saurait ni où aller, nique faire. D’une nature versatile, il est inconstant dans sesrésolutions et peu porté à la patience. »

Hugues comptait cette dernière chance pour peude chose, sinon pour rien ; cependant, passant son calepin àIris, il la pria d’y écrire le nom du correspondant de lord Harry.En ce faisant, il comptait demander à Mme Vimpanysi elle connaissait cet individu et lui présenter en même temps lesexcuses de lady Harry au sujet de son long silence.

Iris le remercia et écrivit le nom enquestion. À cet instant, la pendule sonne ; Iris se lève,comme mue par un ressort ; elle baisse d’abord son voile, puisle relève et dit :

« Hugues, veuillez me pardonner si jepleure, mais c’est le plus triste, le plus douloureux, le pluscruel adieu dont j’aie souvenir. Adieu, Hugues,… mon cher Hugues,adieu ! »

Si la loi du devoir est une grande loi, il enest une autre plus ancienne encore, c’est celle de l’amour ;celle-là a des droits plus impérieux, c’est incontestable. Durantles longues années de leur amitié, Hugues et Iris ne s’étaientjamais séparés comme ils allaient le faire. Donc, pour la premièrefois, leurs lèvres se rencontrèrent dans un baiser d’adieu ;mais l’instant d’après, la voix de la conscience les rappela àleurs devoirs. De nouveau, ils n’étaient plus que des amis. EnsuiteIris baissa silencieusement son voile sans souffler mot ;Hugues l’accompagna jusqu’à sa voiture, c’est-à-dire à l’extrémitéde la rue. Au moment de se séparer, il lui dit : « Aurevoir » ; et elle répondit d’une voix émue :« Ne m’oubliez pas ! »

Peu après, Montjoie se dirige vers sonhôtel ; mais à peine a-t-il franchi une courte distance, qu’ilvoit un homme traverser la rue : c’est lord Harry ;s’avançant dans la direction de Hugues, il l’aborde,disant :

« Avant de retourner à Passy, je voudraisvous dire un mot, monsieur Montjoie ; voulez-vous fairequelques pas avec moi ? »

Hugues, sans desserrer les dents, répondit parun signe de tête affirmatif. Il se demandait, à part lui, ce quiserait advenu, si lady Harry avait différé son départ de quelquesminutes, ou si sa voiture était restée à stationner à la porte del’hôtel. En tout cas, Iris l’avait échappé belle ! Lord Harrypoursuivit :

« Il n’est pas dans la nature del’Irlandais de respecter la loi ; toutefois, les devoirs del’hospitalité font exception à la règle ; aussi, depuis hier,ma conduite envers vous fait que je m’adresse de sérieux reproches,il s’ensuit que je viens vous faire mes excuses. À Dieu neplaise ! que je vous demande de renouer des relationsamicales ; je suis d’avis que moins nous nous verrons àl’avenir, mieux cela vaudra. Je ne doute pas que vous ne partagiezma manière de voir, mais enfin, je vous prie de croire à tous mesregrets de vous avoir parlé comme je l’ai fait hier soir.

– J’accepte vos excuses et je suis touchéde votre sincérité ; à partir de ce moment, en ce qui meconcerne, tout est oublié.

– Voilà qui est parler en galanthomme ! s’écria lord Harry, je vous remercie. »

Après quoi, ils échangèrent un salut et seséparèrent.

En somme, « simple formalité », sedit Hugues en faisant volte-face. Il avait mal jugé le sauvagelord : mais beaucoup d’eau devait couler sous le pont, commeon dit, avant qu’il pût s’apercevoir de son erreur.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer