C’était écrit

Chapitre 14

 

Interdit de surprise, Hugues Montjoie restasilencieux. Iris comprit la signification du regard qu’il attachaitsur elle, et y répondit en disant :

« Je suis tout à fait sûre de ce quej’avance, Hugues. »

Son interlocuteur qui, avec son bon senshabituel, hésitait à tirer une conclusion aussi péremptoire,reprit :

« À coup sûr, vous croyez être dans levrai, mais quand il s’agit de calligraphie, il est facile de seméprendre. » Par le fait, Iris avait les nerfs tellementsurexcités, qu’elle en voulait certainement à Hugues de croirequ’elle s’était mis le doigt dans l’œil, comme on dit trèsvulgairement.

« Enfin, vous connaissez l’écriture delord Harry ? fit-elle ; et vous devez admettre qu’on nepeut confondre cette grosse et grasse anglaise, avec une cursiveordinaire. Ne suis-je donc pas assez malheureuse, sans que vousacheviez de me faire perdre la tête, en doutant de la vérité de mesparoles ? Ciel ! quand je songe qu’une femme si bonne, sicharmante, n’ayant rien d’une créature astucieuse, m’ait pu tromperainsi ! » Notez qu’il n’y avait jusqu’alors aucune raisond’interpréter de cette façon, la conduite deMme Vimpany. Montjoie, très doucement,s’interposa :

« Permettez, dit-il, nous ne pouvonsaffirmer qu’elle ait obéi aux instructions de lord Harry. Attendezun peu avant de lui attribuer l’étrange rôle que vous lui faitesjouer. »

Iris, l’esprit de plus en plus monté, répliquaindignée :

« Pourquoi ne m’a-t-elle jamais ditqu’elle connaissait lord Harry ? Ce silence me paraîtsuspect. »

Montjoie sourit et riposta :

« Avez-vous dit àMme Vimpany que vous connaissez lordHarry ? »

Iris ne souffla mot.

« Eh bien ! poursuivit Montjoie,dois-je inférer de votre silence que vous êtes capable detrahison ? Je n’ai garde, bien entendu, de prétendre que cesoit là une découverte rassurante ; toutefois, avant de mettretout au pire, il faut savoir si, en réalité, un noir complot a étéourdi contre votre liberté ? Il faut voir venir cettefemme. »

À de nombreuses qualités féminines, missHenley joignait des défauts qui sont aussi le lot du sexe faible.S’acharnant à son idée, elle reprit :

« Quel fond peut-on faire, je vous ledemande, sur quelqu’un qui vous a déjà trompé ? Tenez, vousêtes un homme désespérant ! »

Montjoie donna, en cette circonstance, unenouvelle preuve de son inaltérable patience.

« Tout à l’heure, quandMme Vimpany va venir, je glisserai dans laconversation le nom de lord Harry ; si elle dit le connaître,il n’y aura plus, ce me semble, aucune raison de lui refuser nivotre confiance ni votre amitié.

– Mais enfin, ajouta Iris, en se grattantle menton, supposons que Mme Vimpany feignel’ignorance et fasse comme si elle entendait ce nom pour lapremière fois ?

– Alors, il y aura une preuve acquisecontre moi, répondit Hugues, et il ne me restera plus qu’à implorermon pardon. »

À cet instant, le bon et généreux côté de lanature d’Iris reparut subitement.

« C’est plutôt à moi de m’excuser, dit lajeune fille, en lui jetant un regard implorant. J’aurais dûréfléchir avant de me montrer insolente,… emportée,… mais, enfin,voyons, si la suite me donne raison, que ferez-vous,Hugues ?

– J’estimerai qu’il est de mon devoir devous emmener d’ici, vous et votre camériste, et de faire entendre àvotre père que les raisons les plus sérieuses… »

À ce moment, ayant aperçuMme Vimpany, Hugues interrompit la phrasecommencée. Souriante, courtoise et en parfaite possessiond’elle-même, la femme du docteur dit du ton le plus naturel, ens’adressant à Hugues Montjoie :

« Je vous ai laissé en si bonne compagnieque je crois superflu de vous adresser mes excuses, à moins,toutefois, que je n’aie interrompu un entretienconfidentiel. »

Qui sait si Iris ne s’était pas trahie,lorsque l’enveloppant d’un regard Mme Vimpanyl’avait surprise à examiner la suscription d’une lettre !Cette allusion à un entretien confidentiel eût ouvert les yeux à lapersonne même la moins expérimentée en l’art de feindre ; or,Montjoie était, sous ce rapport, aussi innocent que l’enfant quivient de naître.

« Vous n’avez interrompu aucuneconfidence, fit-il vivement, comme pour rassurer la femme dudocteur ; nous parlions d’un jeune écervelé de notreconnaissance ; au surplus, si ce que l’on m’a dit est vrai,son nom vous est peut-être connu, les journaux ayant ébruité sesaventures. »

À cet instant, Mme Vimpany, aulieu de justifier les prévisions de Hugues, en s’informant de quiil s’agit, garde un silence poli. Alors, s’avisant avec la vivacitéd’impulsion de sa nature féminine, que Montjoie avait parlé d’unemanière prématurée, Iris se rendit coupable de la même maladresse,en cherchant à lui tendre la perche.

« Vous me parliez à l’instant, Hugues,des aventures de votre ami ; pourriez-vous vous exposervous-même à en avoir une aussi désagréable, pour le moins, si vousprenez une chambre cette nuit à l’hôtel ! Je n’ai, de ma vie,vu une maison d’aussi chiche apparence. »

Entre autres mérites,Mme Vimpany avait celui de ne point négligerl’occasion de mettre tout le monde à l’aise.

« Non,… non,… chère miss Henley, sehâta-t-elle de répondre, l’hôtel est réellement plus propre et plusconfortable que vous ne le croyez. En somme, un lit dur et unenourriture insuffisante sont les pires épreuves que votre amipuisse avoir à craindre. Savez-vous, reprit-elle en s’adressant àMontjoie, que le souvenir de l’un de mes amis s’est présenté tout àl’heure à mon esprit, lorsque vous avez parlé d’un jeune écervelédont les aventures courent les gazettes. S’agissait-il du frère ducomte de Norland, un Irlandais jeune et superbe dont j’ai fait laconnaissance il y a de longues années ? Bref, ne me trompé-jepas en supposant que vous et miss Henley parliez de lordHarry ? »

Qu’est-ce qu’un esprit dépourvu de préjugépouvait demander de plus ? La manière si naturelle dontMme Vimpany s’était disculpée, détruisait toutsoupçon. Iris, à cet instant, jeta un coup d’œil rapide à Montjoie,qui repartit vivement :

« C’est précisément de ce personnage quenous parlions à l’instant. »

Sur ce, il se lève et prend congé.

Après ce qui était arrivé, Iris voulait àtoute force se ménager un tête-à-tête avec Montjoie. La distanceéloignée de l’auberge offrait justement le prétexte désiré. Prenantla parole, elle dit :

« À travers le labyrinthe des rues de lavieille ville, vous courez risque de vous égarer ;attendez-moi une minute, et je vais vous servir deguide. »

Mme Vimpany protesta ens’écriant :

« Ma servante accompagneraM. Montjoie. »

Iris répliqua très gaiement qu’ellen’entendait pas de cette oreille-là, et courut mettre son chapeau.En réalité, Mme Vimpany comprit qu’il fallait degré ou de force renoncer à son plan, ce qu’elle fit de la meilleuregrâce du monde.

« Quelle charmante jeune personne quemiss Henley ! fit remarquer l’aimable femme du docteur, dèsqu’elle fut seule avec Montjoie. Si j’étais un homme, j’entomberais amoureux fou ! » En prononçant ces mots, elleregardait intentionnellement son interlocuteur, mais il restaitbouche close. Mme Vimpany poursuivit :« Miss Henley doit avoir eu maintes occasions de se marier,mais the rightman, l’homme qu’il faut, ne s’est sans doutepas encore présenté. »

Elle braque alors un coup d’œil significatifsur Montjoie, qui ne se départ pas de son silence.

Or, l’impénétrable Mme Vimpanyne lâcha pas prise ; elle ajouta en s’adressant à Montjoied’un ton humble :

« Nous dînons à trois heures, faites-nousle plaisir d’être des nôtres demain ; ce sera pour moil’occasion de vous présenter mon mari. »

De fait, Hugues Montjoie avait des raisonspour désirer voir le docteur. Au moment qu’il acceptaitl’invitation, Iris reparut armée de pied en cape pour sortir.

Dès qu’ils eurent franchi le seuil de laporte, la jeune fille posa à son compagnon l’inévitablequestion :

« Eh bien ! que dites-vous deMme Vimpany ? »

Il répliqua sans sourciller :

« Je demeure convaincu que c’est uneancienne actrice, et qu’elle met à profit dans la vie, sonexpérience de la scène.

– Que comptez-vous faire ?

– Attendre et voir demain le mari deMme Vimpany, reprit Hugues.

– Pourquoi ça ? demanda Iris.

– Il est possible, répondit Hugues, quele mari ne soit pas aussi indéchiffrable que la femme ; entout cas, j’essaierai de le percer à jour.

– J’espère que vous n’y réussirezpas », dit Iris en poussant un soupir.

Montjoie, fort intrigué par cette remarque,n’essaie pas de cacher sa surprise et reprend :

« Je me figurais que vous n’aviez qu’unbut : la vérité !

– Après tout, le doute vaut peut-êtremieux pour moi que la certitude, répliqua Iris d’un ton triste. Unmauvais sentiment m’a inspiré une opinion contraire à lavôtre ; mais espérons que mes yeux ne tarderont pas à sedessiller. Vous aviez sans doute raison en m’engageant à réservermon jugement ; il est plus que probable que j’ai été injusteenvers Mme Vimpany. Oui, j’aurais dû rester sonamie, j’en ai si peu ! En outre, il est encore une chose queje ne saurais vous cacher : lorsque je me rappelle ledévouement héroïque dont lord Harry a fait preuve en vue de sauverles jours du pauvre Arthur, d’une part, je ne puis croire qu’il sesoit soumis à la rupture que je lui ai imposée et, d’autre part, jen’admets pas qu’il me fasse espionner. Est-il sous la calotte descieux, une seule personne à pouvoir expliquer une chosepareille ? »

Arthur Montjoie reprit :

« Je m’en chargerais volontiers, si vousvouliez bien m’en donner le temps. De prime abord, je vous diraique vous êtes dans l’erreur.

– Comment cela ?

– Vous allez le comprendre, Iris. Onchercherait en vain, ici-bas, une créature humaine n’offrant pas decontradictions avec elle-même et, chose curieuse, personne n’en aconscience !

« Lord Harry, j’en conviens, s’est montréhéroïque en cherchant à sauver la vie de son frère Arthur, au périlde la sienne ! De ceci, il résulte à vos yeux, qu’en toutechose, il devrait se montrer un modèle d’honneur ! Ehbien ! je vous le répète, c’est un mortel en chair et en os,incapable, en un mot, de faire une résistance à la tentation et,partant, capable de toutes les folies !

« Ah ! je vois, Iris, que vous vousinsurgez contre mes assertions ; si lord Harry était un hommetout d’une pièce, comme on en voit dans les romans, ce serait, j’enconviens, infiniment plus agréable.

« Le bon lecteur se prend de sympathiepour l’homme, pour la femme, et pour l’enfant que le romancier debonne volonté lui présente comme un type de toutes les perfections.Peu importe, en réalité, que ce soit ou non une peinture exacte del’humanité : si l’auteur s’avisait jamais d’une chosepareille, ce serait la condamnation de son talent. Au cas où unromancier présenterait au lecteur un être sans défauts, le susditlecteur ne découvrirait même pas l’imperfection de cette étudepsychologique.

« Loin de chercher à vous décourager, jevous exhorte, au contraire, à ne pas vous attrister outre mesure,le jour où vous découvrirez qu’une personne à qui vous prêteztoutes les vertus est affligée de tous les défauts. Dites-voussimplement ceci : elle a été induite en tentation ;prenez patience. Le temps vous fournira peut-être la preuve quel’influence du mal est de courte durée et, enfin, de votredésespoir renaîtra votre foi. En thèse générale, l’humanité n’estni parfaitement bonne, ni parfaitement mauvaise. Acceptez-la tellequ’elle est ! Est-ce donc, en réalité, un conseil si difficileà suivre ? Pourquoi ne pas faire ce que les autres font enpareil cas ? Écoutez aujourd’hui cette vérité pénible, machère amie, et n’y pensez plus demain. »

Arrivés à la porte de l’hôtel, ils seséparèrent.

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