14 – Le château de cartes
Un bon mari, sa femme, et deux jolisenfants,
Coulaient en paix leurs jours dans le simpleermitage
Où, paisibles comme eux, vécurent leursparents.
Ces époux, partageant les doux soins duménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leursmoissons,
Et le soir, dans l’été soupant sous lefeuillage,
Dans l’hiver devant leurs tisons,
Ils prêchaient à leurs fils la vertu, lasagesse,
Leur parlaient du bonheur qu’ils procurenttoujours :
Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.
L’aîné de ces enfants, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse ;
Le cadet, vif, léger, mais plein degentillesse,
Sautait, riait toujours, ne se plaisait qu’auxjeux.
Un soir, selon l’usage, à côté de leurpère,
Assis près d’une table où s’appuyait lamère,
L’aîné lisait Rollin ; le cadet, peusoigneux
D’apprendre les hauts faits des romains ou desparthes,
Employait tout son art, toutes sesfacultés,
À joindre, à soutenir par les quatre côtés
Un fragile château de cartes.
Il n’en respirait pas d’attention, depeur.
Tout-à-coup voici le lecteur
Qui s’interrompt : papa, dit-il, daignem’instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommésconquérants,
Et d’autres fondateurs d’empire :
Ces deux noms sont-ils différents ?
Le père méditait une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté deplaisir,
Après tant de travail, d’avoir pu parvenir
À placer son second étage,
S’écrie : il est fini ! Son frèremurmurant
Se fâche, et d’un seul coup détruit son longouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.
Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur, c’est votre frère,
Et vous êtes le conquérant.