Fables

7 – Le laboureur de Castille

 

Le plus aimé des rois est toujours le plusfort.

En vain la fortune l’accable ;

En vain mille ennemis ligués avec le sort

Semblent lui présager sa perteinévitable :

L’amour de ses sujets, colonneinébranlable,

Rend inutiles leurs efforts.

Le petit-fils d’un roi grand par son malheurmême,

Philippe, sans argent, sans troupes, sanscrédit,

Chassé par l’anglais de Madrid,

Croyait perdu son diadème.

Il fuyait presque seul, accablé dedouleur.

Tout-à-coup à ses yeux s’offre un vieuxlaboureur,

Homme franc, simple et droit, aimant plus quesa vie

Ses enfants et son roi, sa femme et sapatrie,

Parlant peu de vertu, la pratiquantbeaucoup,

Riche et pourtant aimé, cité dans lesCastilles

Comme l’exemple des familles.

Son habit, filé par ses filles,

Était ceint d’une peau de loup.

Sous un large chapeau sa tête bien àl’aise

Faisait voir des yeux vifs et des traitsbasanés,

Et ses moustaches de son nez

Descendaient jusques sur sa fraise.

Douze fils le suivaient, tous grands, beaux,vigoureux.

Un mulet chargé d’or était au milieud’eux.

Cet homme, dans cet équipage,

Devant le roi s’arrête, et lui dit : oùvas-tu ?

Un revers t’a-t-il abattu ?

Vainement l’archiduc a sur toil’avantage ;

C’est toi qui régneras, car c’est toi qu’onchérit.

Qu’importe qu’on t’ait pris Madrid ?

Notre amour t’est resté, nos corps sont tesmurailles ;

Nous périrons pour toi dans les champs del’honneur.

Le hasard gagne les batailles ;

Mais il faut des vertus pour gagner notrecœur.

Tu l’as, tu régneras. Notre argent, notrevie,

Tout est à toi, prends tout. Grâces à quaranteans

De travail et d’économie,

Je peux t’offrir cet or. Voici mes douzeenfants,

Voilà douze soldats ; malgré mes cheveuxblancs,

Je ferai le treizième : et, la guerrefinie,

Lorsque tes généraux, tes officiers, tesgrands,

Viendront te demander, pour prix de leursservices,

Des biens, des honneurs, des rubans,

Nous ne demanderons que repos et justice.

C’est tout ce qu’il nous faut. Nous autrespauvres gens

Nous fournissons au roi du sang et desrichesses ;

Mais, loin de briguer ses largesses,

Moins il donne et plus nous l’aimons.

Quand tu seras heureux, nous fuirons taprésence,

Nous te bénirons en silence :

On t’a vaincu, nous te cherchons.

Il dit, tombe à genoux. D’une mainpaternelle

Philippe le relève en poussant dessanglots ;

Il presse dans ses bras ce sujet sifidèle,

Veut parler, et les pleurs interrompent sesmots.

Bientôt, selon la prophétie

Du bon vieillard, Philippe fut vainqueur,

Et, sur le trône d’Ibérie,

N’oublia point le laboureur.

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