3 – Le courtisan et le dieu Protée
On en veut trop aux courtisans ;
On va criant partout qu’à l’état inutiles
Pour leur seul intérêt ils se montrenthabiles :
Ce sont discours de médisants.
J’ai lu, je ne sais où, qu’autrefois enSyrie
Ce fut un courtisan qui sauva sa patrie.
Voici comment : dans le pays
La peste avait été portée,
Et ne devait cesser que quand le dieuProtée
Dirait là-dessus son avis.
Ce dieu, comme l’on sait, n’est pas facile àvivre :
Pour le faire parler il faut longtemps lesuivre,
Près de son antre l’épier,
Le surprendre, et puis le lier,
Malgré la figure effrayante
Qu’il prend et quitte à volonté.
Certain vieux courtisan, par le roidéputé,
Devant le dieu marin tout-à-coup seprésente.
Celui-ci, surpris, irrité,
Se change en noir serpent ; sa gueuleempoisonnée
Lance et retire un dard messager dutrépas,
Tandis que, dans sa marche oblique etdétournée,
Il glisse sur lui-même et d’un pli fait unpas.
Le courtisan sourit : je connais cetteallure,
Dit-il, et mieux que toi je sais mordre etramper.
Il court alors pour l’attraper :
Mais le dieu change de figure ;
Il devient tour-à-tour loup, singe, lynx,renard.
Tu veux me vaincre dans mon art,
Disait le courtisan : mais, depuis monenfance,
Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,
Chacun de ces tours-là pour moi se trouveusé.
Changer d’habit, de mœurs, même deconscience ;
Je ne vois rien là que d’aisé.
Lors il saisit le dieu, le lie,
Arrache son oracle, et retourne vainqueur.
Ce trait nous prouve, ami lecteur,
Combien un courtisan peut servir lapatrie.