13 – La tourterelle et la fauvette
Une fauvette jeune et belle
S’amusait à chanter tant que durait lejour ;
Sa voisine la tourterelle
Ne voulait, ne savait rien faire quel’amour.
Je plains bien votre erreur, dit-elle à lafauvette ;
Vous perdez vos plus beaux moments :
Il n’est qu’un seul plaisir, c’est d’avoir desamants.
Dites-moi, s’il vous plaît, quelle est lachansonnette
Qui peut valoir un doux baiser.
Je me garderais bien d’oser
Les comparer, répondit la chanteuse :
Mais je ne suis point malheureuse,
J’ai mis mon bonheur dans mes chants.
À ce discours, la tourterelle
En se moquant s’éloigna d’elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.
Après ce long espace, un beau jour deprintemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L’âge avait bien un peu dérangé leursattraits ;
Longtemps elles se regardèrent
Avant que de pouvoir se remettre leurstraits.
Enfin la fauvette polie
S’avance la première : eh ! Bonjour, mon amie,
Comment vous portez-vous ? Comment vontles amants ?
– Ah ! Ne m’en parlez pas, machère :
J’ai tout perdu, plaisirs, amis, beauxans ;
Tout a passé comme une ombre légère.
J’ai cru que le bonheur était d’aimer, deplaire…
Ô souvenir cruel ! ô regretssuperflus !
J’aime encore, on ne m’aime plus.
J’ai moins perdu que vous, répondit lachanteuse :
Cependant je suis vieille et je n’ai plus devoix ;
Mais j’aime la musique, et suis encoreheureuse
Lorsque le rossignol fait retentir cesbois.
La beauté, ce présent céleste,
Ne peut sans les talents échapper àl’ennui :
La beauté passe, un talent reste,
On en jouit même en autrui.