3 – Les deux bacheliers
Deux jeunes bacheliers logés chez undocteur
Y travaillaient avec ardeur
À se mettre en état de prendre leurslicences.
Là, du matin au soir, en public disputant,
Prouvant, divisant, ergotant
Sur la nature et ses substances,
L’infini, le fini, l’âme, la volonté,
Les sens, le libre arbitre et lanécessité,
Ils en étaient bientôt à ne plus secomprendre :
Même par là souvent l’on dit qu’ilscommençaient,
Mais c’est alors qu’ils se poussaient
Les plus beaux arguments ; qui venait lesentendre
Bouche béante demeurait,
Et leur professeur même en extaseadmirait.
Une nuit qu’ils dormaient dans le grenier dumaître
Sur un grabat commun, voilà mes jeunesgens
Qui, dans un rêve, pensent être
À se disputer sur les bancs.
Je démontre, dit l’un. Je distingue, ditl’autre.
Or, voici mon dilemme. Ergo, voici lenôtre…
À ces mots, nos rêveurs, criants,gesticulants,
Au lieu de s’en tenir aux simplesarguments
D’Aristote ou de Scot, soutiennent leurdilemme
De coups de poing bien assenés
Sur le nez.
Tous deux sautent du lit dans une rageextrême,
Se saisissent par les cheveux,
Tombent, et font tomber pêle-mêle avec eux
Tous les meubles qu’ils ont, deux chaises, unetable,
Et quatre in-folios écrits sur parchemin.
Le professeur arrive, une chandelle enmain,
À ce tintamarre effroyable :
Le diable est donc ici ! Dit-il tout horsde soi :
Comment ! Sans y voir clair et sanssavoir pourquoi,
Vous vous battez ainsi ! Quelle mouchevous pique ?
Nous ne nous battons point, disent-ils ;jugez mieux :
C’est que nous repassons tous deux
Nos leçons de métaphysique.