20 – L’aveugle et le paralytique
Aidons-nous mutuellement,
La charge des malheurs en sera pluslégère ;
Le bien que l’on fait à son frère
Pour le mal que l’on souffre est unsoulagement.
Confucius l’a dit ; suivons tous sadoctrine :
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant.
Dans une ville de l’Asie
Il existait deux malheureux,
L’un perclus, l’autre aveugle, et pauvres tousles deux.
Ils demandaient au ciel de terminer leurvie :
Mais leurs cris étaient superflus,
Ils ne pouvaient mourir. Notreparalytique,
Couché sur un grabat dans la placepublique,
Souffrait sans être plaint ; il ensouffrait bien plus.
L’aveugle, à qui tout pouvait nuire,
Était sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l’aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva
Que l’aveugle à tâtons, au détour d’unerue,
Près du malade se trouva ;
Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n’est tels que les malheureux
Pour se plaindre les uns les autres.
J’ai mes maux, lui dit-il, et vous avez lesvôtres :
Unissons-les, mon frère ; ils serontmoins affreux.
Hélas ! Dit le perclus, vous ignorez, monfrère,
Que je ne puis faire un seul pas ;
Vous-même vous n’y voyez pas :
À quoi nous servirait d’unir notremisère ?
À quoi ? Répond l’aveugle, écoutez :à nous deux
Nous possédons le bien à chacunnécessaire ;
J’ai des jambes, et vous des yeux.
Moi, je vais vous porter ; vous, vousserez mon guide :
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés,
Mes jambes à leur tour iront où vousvoudrez :
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utileemploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pourmoi.