Fables

2 – Le bon homme et le trésor

 

Un bon homme de mes parents,

Que j’ai connu dans mon jeune âge,

Se faisait adorer de tout sonvoisinage ;

Consulté, vénéré des petits et des grands,

Il vivait dans sa terre en véritable sage.

Il n’avait pas beaucoup d’écus,

Mais cependant assez pour vivre dansl’aisance ;

En revanche force vertus,

Du sens, de l’esprit par-dessus,

Et cette aménité que donne l’innocence.

Quand un pauvre venait le voir,

S’il avait de l’argent, il donnait despistoles ;

Et s’il n’en avait point, du moins par sesparoles

Il lui rendait un peu de courage etd’espoir.

Il raccommodait les familles,

Corrigeait doucement les jeunes étourdis,

Riait avec les jeunes filles,

Et leur trouvait de bons maris.

Indulgent aux défauts des autres,

Il répétait souvent : n’avons-nous pasles nôtres ?

Ceux-ci sont nés boiteux, ceux-là sont nésbossus,

L’un un peu moins, l’autre un peuplus :

La nature de cent manières

Voulut nous affliger : marchons ensembleen paix ;

Le chemin est assez mauvais

Sans nous jeter encor des pierres.

Or il arriva certain jour

Que notre bon vieillard trouva dans unetour

Un trésor caché sous la terre.

D’abord il n’y voit qu’un moyen

De pouvoir faire plus de bien ;

Il le prend, l’emporte et le serre.

Puis, en réfléchissant, le voilà qui sedit :

Cet or que j’ai trouvé ferait plus deprofit

Si j’en augmentais mon domaine ;

J’aurais plus de vassaux, je serais pluspuissant.

Je peux mieux faire encor : dans la villeprochaine

Achetons une charge, et soyons président.

Président ! Cela vaut la peine.

Je n’ai pas fait mon droit ; mais, avecmon argent,

On m’en dispensera, puisque cela s’achète.

Tandis qu’il rêve et qu’il projette,

Sa servante vient l’avertir

Que les jeunes gens du village

Dans la cour du château sont à sedivertir.

Le dimanche, c’était l’usage,

Le seigneur se plaisait à danser avec eux.

Oh ! Ma foi, répond-il, j’ai biend’autres affaires ;

Que l’on danse sans moi. L’esprit plein dechimères,

Il s’enferme tout seul pour se tourmentermieux.

Ensuite il va joindre à sa somme

Un petit sac d’argent, reste du moisdernier.

Dans l’instant arrive un pauvre homme

Qui tout en pleurs vient le prier

De vouloir lui prêter vingt écus pour sataille :

Le collecteur, dit-il, va me mettre enprison,

Et n’a laissé dans ma maison

Que six enfants sur de la paille.

Notre nouveau Crésus lui répond durement

Qu’il n’est point en argent comptant.

Le pauvre malheureux le regarde, soupire,

Et s’en retourne sans mot dire.

Mais il n’était pas loin, que notre bonseigneur

Retrouve tout-à-coup son cœur ;

Il court au paysan, l’embrasse,

De cent écus lui fait le don,

Et lui demande encor pardon.

Ensuite il fait crier que sur la grandeplace

Le village assemblé se rende dansl’instant.

On obéit : notre bon homme

Arrive avec toute sa somme,

En un seul monceau la répand.

Mes amis, leur dit-il, vous voyez cetargent :

Depuis qu’il m’appartient, je ne suis plus lemême,

Mon âme est endurcie, et la voix dumalheur

N’arrive plus jusqu’à mon cœur.

Mes enfants, sauvez-moi de ce périlextrême ;

Prenez et partagez ce dangereuxmétal ;

Emportez votre part chacun dans votreasile :

Entre tous divisé, cet or peut êtreutile ;

Réuni chez un seul, il ne fait que du mal.

Soyons contents du nécessaire

Sans jamais souhaiter de trésorssuperflus :

Il faut les redouter autant que la misère,

Comme elle ils chassent les vertus.

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