6 – Les deux chats
Deux chats qui descendaient du fameuxRodilard,
Et dignes tous les deux de leur nobleorigine,
Différaient d’embonpoint : l’un étaitgras à lard,
C’était l’aîné ; sous son hermine
D’un chanoine il avait la mine,
Tant il était dodu, potelé, frais etbeau :
Le cadet n’avait que la peau
Collée à sa tranchante échine.
Cependant ce cadet, du matin jusqu’ausoir,
De la cave à la gouttière
Trottait, courait, il fallait voir,
Sans en faire meilleure chère.
Enfin, un jour, au désespoir,
Il tint ce discours à son frère :
Explique-moi par quel moyen,
Passant ta vie à ne rien faire,
Moi travaillant toujours, on te nourrit sibien,
Et moi si mal. La chose est claire,
Lui répondit l’aîné : tu cours tout lelogis
Pour manger rarement quelque maigresouris…
– n’est-ce pas mon devoir ? – d’accord,cela peut être :
Mais moi je reste auprès du maître ;
Je sais l’amuser par mes tours.
Admis à ses repas sans qu’il meréprimande,
Je prends de bons morceaux, et puis je lesdemande
En faisant patte de velours,
Tandis que toi, pauvre imbécile,
Tu ne sais rien que le servir,
Va, le secret de réussir,
C’est d’être adroit, non d’être utile.