9 – Le sanglier et les rossignols
Un homme riche, sot et vain,
Qualités qui par fois marchent decompagnie,
Croyait pour tous les arts avoir un goûtdivin,
Et pensait que son or lui donnait dugénie.
Chaque jour à sa table on voyait réunis
Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beauxesprits,
Qui lui prodiguaient les hommages,
Lui montraient des dessins, lui lisaient desouvrages,
Écoutaient les conseils qu’il daignait leurdonner,
Et l’appelaient Mécène en mangeant sondîner.
Se promenant un soir dans son parcsolitaire,
Suivi d’un jardinier, homme instruit et desens,
Il vit un sanglier qui labourait la terre,
Comme ils font quelquefois pour aiguiser leursdents.
Autour du sanglier, les merles, lesfauvettes,
Surtout les rossignols, voltigeant,s’arrêtant,
Répétaient à l’envi leurs douceschansonnettes,
Et le suivaient toujours chantant.
L’animal écoutait l’harmonieux ramage
Avec la gravité d’un docte connaisseur,
Baissait par fois la hure en signe defaveur,
Ou bien, la secouant, refusait sonsuffrage.
Qu’est-ce ci ? Dit lefinancier :
Comment ! Les chantres du bocage
Pour leur juge ont choisi cet animalsauvage !
Nenni, répond le jardinier ;
De la terre par lui fraîchement labourée
Sont sortis plusieurs vers, excellentecurée
Qui seule attire ces oiseaux :
Ils ne se tiennent à sa suite
Que pour manger ces vermisseaux ;
Et l’imbécile croit que c’est pour sonmérite.