Fables

3 – La colombe et son nourrisson

 

Une colombe gémissait

De ne pouvoir devenir mère :

Elle avait fait cent fois tout ce qu’ilfallait faire

Pour en venir à bout, rien ne réussissait.

Un jour, se promenant dans un boissolitaire,

Elle rencontre en un vieux nid

Un œuf abandonné, point trop gros, pointpetit,

Semblable aux œufs de tourterelle.

Ah ! Quel bonheur !S’écria-t-elle :

Je pourrai donc enfin couver,

Et puis nourrir, puis élever

Un enfant qui fera le charme de mavie !

Tous les soins qu’il me coûtera,

Les tourments qu’il me causera,

Seront encor des biens pour mon âmeravie :

Quel plaisir vaut ces soucis-là ?

Cela dit, dans le nid la colombe établie

Se met à couver l’œuf, et le couve sibien,

Qu’elle ne le quitte pour rien,

Pas même pour manger : l’amour nourritles mères.

Après vingt et un jours elle voit naîtreenfin

Celui dont elle attend son bonheur, sondestin,

Et ses délices les plus chères.

De joie elle est prête à mourir ;

Auprès de son petit nuit et jour elleveille,

L’écoute respirer, le regarde dormir,

S’épuise pour le mieux nourrir.

L’enfant chéri vient à merveille,

Son corps grossit en peu de temps :

Mais son bec, ses yeux et ses ailes,

Différent fort des tourterelles ;

La mère les voit ressemblants.

À bien élever sa jeunesse

Elle met tous ses soins, lui prêche lasagesse,

Et surtout l’amitié, lui dit à chaqueinstant :

Pour être heureux, mon cher enfant,

Il ne faut que deux points, la paix avecsoi-même,

Puis quelques bons amis dignes de nouschérir.

La vertu de la paix nous fait seulejouir ;

Et le secret pour qu’on nous aime,

C’est d’aimer les premiers, facile et douxplaisir.

Ainsi parlait la tourterelle,

Quand, au milieu de sa leçon,

Un malheureux petit pinson

Échappé de son nid vient s’abattre auprèsd’elle.

Le jeune nourrisson à peine l’aperçoit,

Qu’il court à lui : sa mère croit

Que c’est pour le traiter comme ami, commefrère,

Et pour offrir au voyageur

Une retraite hospitalière.

Elle applaudit déjà : mais quelle est sadouleur,

Lorsqu’elle voit son fils, ce fils dont lajeunesse

N’entendit que leçons de vertu, desagesse,

Saisir le faible oiseau, le plumer, lemanger,

Et garder au milieu de l’horrible carnage

Ce tranquille sang froid, assurétémoignage

Que le cœur désormais ne peut secorriger !

Elle en mourut, la pauvre mère.

Quel triste prix des soins donnés à cetenfant !

Mais c’était le fils d’un milan :

Rien ne change le caractère.

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