Fables

Livre 4

1 – Le savant et le fermier

 

Que j’aime les héros dont je contel’histoire !

Et qu’à m’occuper d’eux je trouve dedouceur !

J’ignore s’ils pourront m’acquérir de lagloire ;

Mais je sais qu’ils font mon bonheur.

Avec les animaux je veux passer mavie ;

Ils sont si bonne compagnie !

Je conviens cependant, et c’est avecdouleur,

Que tous n’ont pas le même cœur.

Plusieurs que l’on connaît, sans qu’ici je lesnomme,

De nos vices ont bonne part :

Mais je les trouve encor moins dangereux quel’homme ;

Et fripon pour fripon je préfère unrenard.

C’est ainsi que pensait un sage,

Un bon fermier de mon pays.

Depuis quatre-vingts ans, de tout levoisinage

On venait écouter et suivre ses avis.

Chaque mot qu’il disait était unesentence.

Son exemple surtout aidait sonéloquence ;

Et lorsqu’environné de ses quaranteenfants,

Fils, petits-fils, brus, gendres, filles,

Il jugeait les procès ou réglait lesfamilles,

Nul n’eût osé mentir devant ses cheveuxblancs.

Je me souviens qu’un jour dans son champêtreasile

Il vint un savant de la ville

Qui dit au bon vieillard : mon père,enseignez-moi

Dans quel auteur, dans quel ouvrage,

Vous apprîtes l’art d’être sage.

Chez quelle nation, à la cour de quel roi,

Avez-vous été, comme Ulysse,

Prendre des leçons de justice ?

Suivez-vous de Zénon la rigoureuseloi ?

Avez-vous embrassé la secte d’Épicure,

Celle de Pythagore ou du divinPlaton ?

De tous ces messieurs-là je ne sais pas lenom,

Répondit le vieillard : mon livre est lanature ;

Et mon unique précepteur,

C’est mon cœur.

Je vois les animaux, j’y trouve le modèle

Des vertus que je dois chérir :

La colombe m’apprit à devenirfidèle ;

En voyant la fourmi j’amassai pourjouir ;

Mes bœufs m’enseignent la constance,

Mes brebis la douceur, mes chiens lavigilance ;

Et si j’avais besoin d’avis

Pour aimer mes filles, mes fils,

La poule et ses poussins me serviraientd’exemple.

Ainsi dans l’univers tout ce que jecontemple

M’avertit d’un devoir qu’il m’est doux deremplir.

Je fais souvent du bien pour avoir duplaisir,

J’aime et je suis aimé, mon âme est tendre etpure,

Et toujours selon ma mesure

Ma raison sait régler mes vœux :

J’observe et je suis la nature,

C’est mon secret pour être heureux.

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