5 – Les serins et le chardonneret
Un amateur d’oiseaux avait, en grandsecret,
Parmi les œufs d’une serine
Glissé l’œuf d’un chardonneret.
La mère des serins, bien plus tendre quefine,
Ne s’en aperçut point, et couva comme sien
Cet œuf qui dans peu vint à bien.
Le petit étranger, sorti de sa coquille,
Des deux époux trompés reçoit les tendressoins,
Par eux traité ni plus ni moins
Que s’il était de la famille.
Couché dans le duvet, il dort le long dujour
À côté des serins dont il se croit lefrère,
Reçoit la béquée à son tour,
Et repose la nuit sous l’aile de la mère.
Chaque oisillon grandit, et, devenantoiseau,
D’un brillant plumage s’habille ;
Le chardonneret seul ne devient pointjonquille,
Et ne s’en croit pas moins des serins le plusbeau.
Ses frères pensent tout de même :
Douce erreur qui toujours fait voir l’objetqu’on aime
Ressemblant à nous trait pour trait !
Jaloux de son bonheur, un vieuxchardonneret
Vient lui dire : il est temps enfin devous connaître ;
Ceux pour qui vous avez de si douxsentiments
Ne sont point du tout vos parents.
C’est d’un chardonneret que le sort vous fitnaître.
Vous ne fûtes jamais serin :regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la têteécarlate,
Le bec… oui, dit l’oiseau, j’ai ce qu’il vousplaira,
Mais je n’ai point une âme ingrate,
Et mon cœur toujours chérira
Ceux qui soignèrent mon enfance.
Si mon plumage au leur ne ressemble pasbien,
J’en suis fâché, mais leur cœur et le mien
Ont une grande ressemblance.
Vous prétendez prouver que je ne leur suisrien,
Leurs soins me prouvent le contraire.
Rien n’est vrai comme ce qu’on sent.
Pour un oiseau reconnaissant
Un bienfaiteur est plus qu’un père.