7 – Le singe qui montre la lanternemagique
Messieurs les beaux esprits dont la prose etles vers
Sont d’un style pompeux et toujoursadmirable,
Mais que l’on n’entend point, écoutez cettefable,
Et tâchez de devenir clairs.
Un homme qui montrait la lanterne magique
Avait un singe dont les tours
Attiraient chez lui grand concours :
Jacqueau, c’était son nom, sur la cordeélastique
Dansait et voltigeait au mieux,
Puis faisait le saut périlleux,
Et puis sur un cordon, sans que rien lesoutienne,
Le corps droit, fixe, d’à-plomb,
Notre Jacqueau fait tout du long
L’exercice à la prussienne.
Un jour qu’au cabaret son maître étaitresté
(C’était, je pense, un jour de fête),
Notre singe en liberté
Veut faire un coup de sa tête.
Il s’en va rassembler les divers animaux
Qu’il peut rencontrer dans la ville ;
Chiens, chats, poulets, dindons,pourceaux,
Arrivent bientôt à la file.
Entrez, entrez, messieurs, criait notreJacqueau ;
C’est ici, c’est ici qu’un spectaclenouveau
Vous charmera gratis : oui, messieurs, àla porte
On ne prend point d’argent, je fais tout pourl’honneur.
À ces mots, chaque spectateur
Va se placer, et l’on apporte
La lanterne magique ; on ferme lesvolets,
Et, par un discours fait exprès,
Jacqueau prépare l’auditoire.
Ce morceau vraiment oratoire
Fit bâiller, mais on applaudit.
Content de son succès, notre singe saisit
Un verre peint qu’il met dans sa lanterne.
Il sait comment on le gouverne,
Et crie en le poussant : est-il rien depareil ?
Messieurs, vous voyez le soleil,
Ses rayons et toute sa gloire.
Voici présentement la lune ; et puisl’histoire
D’Adam, d’Ève et des animaux…
Voyez, messieurs, comme ils sontbeaux !
Voyez la naissance du monde ;
Voyez… les spectateurs, dans une nuitprofonde,
Écarquillaient leurs yeux et ne pouvaient rienvoir ;
L’appartement, le mur, tout était noir.
Ma foi, disait un chat, de toutes lesmerveilles
Dont il étourdit nos oreilles,
Le fait est que je ne vois rien.
Ni moi non plus, disait un chien.
Moi, disait un dindon, je vois bien quelquechose ;
Mais je ne sais pour quelle cause
Je ne distingue pas très bien.
Pendant tous ces discours, le Cicéronmoderne
Parlait éloquemment et ne se lassaitpoint.
Il n’avait oublié qu’un point,
C’était d’éclairer sa lanterne.