17 – Les deux paysans et le nuage
Guillot, disait un jour Lucas
D’une voix triste et lamentable,
Ne vois-tu pas venir là-bas
Ce gros nuage noir ? C’est la marqueeffroyable
Du plus grand des malheurs. Pourquoi ?Répond Guillot.
– pourquoi ? Regarde donc : ou je nesuis qu’un sot,
Ou ce nuage est de la grêle
Qui va tout abîmer, vigne, avoine,froment ;
Toute la récolte nouvelle
Sera détruite en un moment.
Il ne restera rien ; le village enruine
Dans trois mois aura la famine,
Puis la peste viendra, puis nous périronstous.
La peste ! Dit Guillot : doucement,calmez-vous,
Je ne vois point cela, compère ;
Et s’il faut vous parler selon monsentiment,
C’est que je vois tout le contraire :
Car ce nuage assurément
Ne porte point de grêle, il porte e lapluie ;
La terre est sèche dès longtemps,
Il va bien arroser nos champs,
Toute notre récolte en doit être embellie.
Nous aurons le double de foin,
Moitié plus de froment, de raisinsabondance ;
Nous serons tous dans l’opulence,
Et rien, hors les tonneaux, ne nous ferabesoin.
C’est bien voir que cela ! Dit Lucas encolère.
Mais chacun a ses yeux, lui réponditGuillot.
– Oh ! Puisqu’il est ainsi, je ne diraiplus mot,
Attendons la fin de l’affaire :
Rira bien qui rira le dernier. – dieumerci,
Ce n’est pas moi qui pleure ici.
Ils s’échauffaient tous deux ; déjà, dansleur furie,
Ils allaient se gourmer, lorsqu’un souffle devent
Emporta loin de là le nuageeffrayant ;
Ils n’eurent ni grêle ni pluie.