3 – Le vieux arbre et le jardinier
Un jardinier, dans son jardin,
Avait un vieux arbre stérile ;
C’était un grand poirier qui jadis futfertile :
Mais il avait vieilli, tel est notredestin.
Le jardinier ingrat veut l’abattre unmatin ;
Le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l’arbre lui dit :
Respecte mon grand âge, et souviens-toi dufruit
Que je t’ai donné chaque année.
La mort va me saisir, je n’ai plus qu’uninstant,
N’assassine pas un mourant
Qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avecpeine,
Répond le jardinier ; mais j’ai besoin debois.
Alors, gazouillant à la fois,
De rossignols une centaine
S’écrie : épargne-le, nous n’avons plusque lui :
Lorsque ta femme vient s’asseoir sous sonombrage,
Nous la réjouissons par notre douxramage ;
Elle est seule souvent, nous charmons sonennui.
Le jardinier les chasse et rit de leurrequête ;
Il frappe un second coup. D’abeilles unessaim
Sort aussitôt du tronc, en lui disant :arrête,
Écoute-nous, homme inhumain :
Si tu nous laisses cet asile,
Chaque jour nous te donnerons
Un miel délicieux dont tu peux à la ville
Porter et vendre les rayons :
Cela te touche-t-il ? J’en pleure detendresse,
Répond l’avare jardinier :
Eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvrepoirier
Qui m’a nourri dans sa jeunesse ?
Ma femme quelquefois vient ouïr cesoiseaux ;
C’en est assez pour moi : qu’ils chantenten repos.
Et vous, qui daignerez augmenter monaisance,
Je veux pour vous de fleurs semer tout cecanton.
Cela dit, il s’en va, sûr de sarécompense,
Et laisse vivre le vieux tronc.
Comptez sur la reconnaissance
Quand l’intérêt vous en répond.