7 – Le renard qui prêche
Un vieux renard cassé, goutteux,apoplectique,
Mais instruit, éloquent, disert,
Et sachant très bien sa logique,
Se mit à prêcher au désert.
Son style était fleuri, sa moraleexcellente.
Il prouvait en trois points que lasimplicité,
Les bonnes mœurs, la probité,
Donnent à peu de frais cette félicité
Qu’un monde imposteur nous présente
Et nous fait payer cher sans la donnerjamais.
Notre prédicateur n’avait aucunsuccès ;
Personne ne venait, hors cinq ou sixmarmottes,
Ou bien quelques biches dévotes
Qui vivaient loin du bruit, sans entour, sansfaveur,
Et ne pouvaient pas mettre en créditl’orateur.
Il prit le bon parti de changer dematière,
Prêcha contre les ours, les tigres, leslions,
Contre leurs appétits gloutons,
Leur soif, leur rage sanguinaire.
Tout le monde accourut alors à sessermons :
Cerfs, gazelles, chevreuils, y trouvaientmille charmes ;
L’auditoire sortait toujours baigné delarmes ;
Et le nom du renard devint bientôt fameux.
Un loin, roi de la contrée,
Bon homme au demeurant, et vieillard fortpieux,
De l’entendre fut curieux.
Le renard fut charmé de faire son entrée
À la cour : il arrive, il prêche, et,cette fois,
Se surpassant lui-même, il tonne, ilépouvante
Les féroces tyrans des bois,
Peint la faible innocence à leur aspecttremblante,
Implorant chaque jour la justice troplente
Du maître et du juge des rois.
Les courtisans, surpris de tant dehardiesse,
Se regardaient sans dire rien ;
Car le roi trouvait cela bien.
La nouveauté par fois fait aimer larudesse.
Au sortir du sermon, le monarque enchanté
Fit venir le renard : vous avez su meplaire,
Lui dit-il, vous m’avez montré lavérité ;
Je vous dois un juste salaire :
Que me demandez-vous pour prix de vosleçons ?
Le renard répondit : sire, quelquesdindons.