6 – Le prêtre de Jupiter
Un prêtre de Jupiter,
Père de deux grandes filles,
Toutes deux assez gentilles,
De bien les marier fit son soin le pluscher.
Les prêtres de ce temps vivaient desacrifices,
Et n’avoient point de bénéfices.
La dot était fort mince. Un jeunejardinier
Se présenta pour gendre ; on lui donnal’aînée.
Bientôt après cet hyménée
La cadette devint la femme d’un potier.
À quelques jours de là, chaque épouseétablie
Chez son époux, le père va les voir.
Bon jour, dit-il, je viens savoir
Si le choix que j’ai fait rend heureuse tavie,
S’il ne te manque rien, si je peux ypourvoir.
Jamais, répond la jardinière,
Vous ne fîtes meilleure affaire :
La paix et le bonheur habitent mamaison ;
Je tâche d’être bonne, et mon époux estbon :
Il sait m’aimer sans jalousie,
Je l’aime sans coquetterie ;
Aussi tout est plaisir, tout jusqu’à nostravaux ;
Nous ne désirons rien, sinon qu’un peu depluie
Fasse pousser nos artichauts.
– C’est là tout ? – oui vraiment. – tuseras satisfaite,
Dit le vieillard : demain je célèbre lafête
De Jupiter ; je lui dirai deux mots.
Adieu, ma fille. – adieu, mon père.
Le prêtre de ce pas s’en va chez lapotière
L’interroger, comme sa sœur,
Sur son mari, sur son bonheur.
Oh ! Répond celle-ci, dans mon petitménage,
Le travail, l’amour, la santé,
Tout va fort bien en vérité ;
Nous ne pouvons suffire à la vente, àl’ouvrage :
Notre unique désir serait que le soleil
Nous montrât plus souvent son visagevermeil
Pour sécher notre poterie.
Vous, pontife du dieu de l’air,
Obtenez-nous cela, mon père, je vousprie ;
Parlez pour nous à Jupiter.
– très volontiers, ma chère amie :
Mais je ne sais comment accorder mesenfants ;
Tu me demandes du beau temps,
Et ta sœur a besoin de pluie.
Ma foi, je me tairai, de peur d’être endéfaut.
Jupiter mieux que nous sait bien ce qu’il nousfaut ;
Prétendre le guider serait folie extrême.
Sachons prendre le temps comme il veutl’envoyer :
L’homme est plus cher aux dieux qu’il ne l’està lui-même ;
Se soumettre, c’est les prier.