19 – Don Quichotte
Contraint de renoncer à la chevalerie,
Don Quichotte voulut, pour se dédommager,
Mener une plus douce vie,
Et choisit l’état de berger.
Le voilà donc qui prend panetière ethoulette,
Le petit chapeau rond garni d’un rubanvert
Sous le menton faisant rosette.
Jugez de la grâce et de l’air
De ce nouveau Tircis ! Sur sa rauquemusette
Il s’essaie à charmer l’écho de cescantons,
Achète au boucher deux moutons,
Prend un roquet galeux, et, dans cetéquipage,
Par l’hiver le plus froid qu’on eût vu delongtemps,
Dispersant son troupeau sur les rives duTage,
Au milieu de la neige il chante leprintemps.
Point de mal jusques là : chacun à samanière
Est libre d’avoir du plaisir.
Mais il vint à passer une grossevachère ;
Et le pasteur, pressé d’un amoureux désir,
Court et tombe à ses pieds : ô belleTimarette,
Dit-il, toi que l’on voit parmi tes jeunessœurs
Comme le lis parmi les fleurs,
Cher et cruel objet de ma flamme secrète,
Abandonne un moment le soin de tesagneaux ;
Viens voir un nid de tourtereaux
Que j’ai découvert sur ce chêne.
Je veux te les donner : hélas !C’est tout mon bien.
Ils sont blancs : leur couleur,Timarette, est la tienne ;
Mais, par malheur pour moi, leur cœur n’estpas le tien.
À ce discours, la Timarette,
Dont le vrai nom était Fanchon,
Ouvre une large bouche, et, d’un œil fixe etbête,
Contemple le vieux Céladon,
Quand un valet de ferme, amoureux de labelle,
Paraissant tout-à-coup, tombe à coups debâton
Sur le berger tendre et fidèle,
Et vous l’étend sur le gazon.
Don Quichotte criait : arrête,
Pasteur ignorant et brutal ;
Ne sais-tu pas nos lois ? Le cœur deTimarette
Doit devenir le prix d’un combatpastoral :
Chante, et ne frappe pas. Vainement ill’implore ;
L’autre frappait toujours, et frapperaitencore,
Si l’on n’était venu secourir le berger
Et l’arracher à sa furie.
Ainsi guérir d’une folie,
Bien souvent ce n’est qu’en changer.