Fables

2 – L’inondation

 

Des laboureurs vivaient paisibles etcontents

Dans un riche et nombreux village ;

Dès l’aurore ils allaient travailler à leurschamps,

Le soir ils revenaient chantants

Au sein d’un tranquille ménage ;

Et la nature bonne et sage,

Pour prix de leurs travaux, leur donnait tousles ans

De beaux bleds et de beaux enfants.

Mais il faut bien souffrir, c’est notredestinée.

Or il arriva qu’une année,

Dans le mois où le blond Phébus

S’en va faire visite au brûlant Sirius,

La terre, de sucs épuisée,

Ouvrant de toutes parts son sein,

Haletait sous un ciel d’airain.

Point de pluie et point de rosée.

Sur un sol crevassé l’on voit noircir legrain,

Les épis sont brûlés, et leurs têtespenchées

Tombent sur leurs tiges séchées.

On trembla de mourir de faim ;

La commune s’assemble. En hâte ondélibère ;

Et chacun, comme à l’ordinaire,

Parle beaucoup et rien ne dit.

Enfin quelques vieillards, gens de sens etd’esprit,

Proposèrent un parti sage :

Mes amis, dirent-ils, d’ici vous pouvezvoir

Ce mont peu distant du village ;

Là se trouve un grand lac, immenseréservoir

Des souterraines eaux qui s’y font unpassage.

Allez saigner ce lac ; mais sachezménager

Un petit nombre de saignées,

Afin qu’à votre gré vous puissiez diriger

Ces bienfaisantes eaux dans vos terresbaignées.

Juste quand il faudra nous les arrêterons.

Prenez bien garde au moins… oui, oui, courons,courons,

S’écrie aussitôt l’assemblée.

Et voilà mille jeunes gens

Armés d’hoyaux, de pics, et d’autresinstruments,

Qui volent vers le lac : la terre esttravaillée

Tout autour de ses bords ; on perce encent endroits

À la fois ;

D’un morceau de terrain chaque ouvrier secharge :

Courage ! Allons ! Point derepos !

L’ouverture jamais ne peut être assezlarge.

Cela fut bientôt fait. Avant la nuit, leseaux,

Tombant de tout leur poids sur leur digueaffaiblie,

De partout roulent à grands flots.

Transports et compliments de la troupeébahie,

Qui s’admire dans ses travaux.

Le lendemain matin ce ne fut pas demême :

On voit flotter les bleds sur un océand’eau ;

Pour sortir du village il faut prendre unbateau ;

Tout est perdu, noyé. La douleur estextrême,

On s’en prend aux vieillards : c’estvous, leur disait-on,

Qui nous coûtez notre moisson ;

Votre maudit conseil… il était salutaire,

Répondit un d’entre eux ; mais ce qu’onvient de faire

Est fort loin du conseil comme de laraison.

Nous voulions un peu d’eau, vous nous lâchezla bonde ;

L’excès d’un très grand bien devient un maltrès grand :

Le sage arrose doucement,

L’insensé tout de suite inonde.

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