Fables

18 – Le chien coupable

 

Mon frère, sais-tu la nouvelle ?

Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens lemodèle,

Si redouté des loups, si soumis au berger,

Mouflar vient, dit-on, de manger

Le petit agneau noir, puis la brebis samère,

Et puis sur le berger s’est jeté furieux.

– Serait-il vrai ? – très vrai, monfrère.

– À qui donc se fier, grands dieux !

C’est ainsi que parlaient deux moutons dans laplaine ;

Et la nouvelle était certaine.

Mouflar, sur le fait même pris,

N’attendait plus que le supplice ;

Et le fermier voulait qu’une promptejustice

Effrayât les chiens du pays.

La procédure en un jour est finie.

Mille témoins pour un déposentl’attentat :

Récolés, confrontés, aucun d’eux nevarie ;

Mouflar est convaincu du tripleassassinat :

Mouflar recevra donc deux balles dans latête

Sur le lieu même du délit.

À son supplice qui s’apprête

Toute la ferme se rendit.

Les agneaux de Mouflar demandèrent lagrâce ;

Elle fut refusée. On leur fit prendreplace :

Les chiens se rangèrent près d’eux,

Tristes, humiliés, mornes, l’oreillebasse,

Plaignant, sans l’excuser, leur frèremalheureux.

Tout le monde attendait dans un profondsilence.

Mouflar paraît bientôt, conduit par deuxpasteurs :

Il arrive ; et, levant au ciel ses yeuxen pleurs,

Il harangue ainsi l’assistance :

Ô vous, qu’en ce moment je n’ose et je nepuis

Nommer, comme autrefois, mes frères, mesamis,

Témoins de mon heure dernière,

Voyez où peut conduire un coupabledésir !

De la vertu quinze ans j’ai suivi lacarrière,

Un faux pas m’en a fait sortir.

Apprenez mes forfaits. Au lever del’aurore,

Seul, auprès du grand bois, je gardois letroupeau ;

Un loup vient, emporte un agneau,

Et tout en fuyant le dévore.

Je cours, j’atteins le loup, qui, laissant sonfestin,

Vient m’attaquer : je le terrasse,

Et je l’étrangle sur la place.

C’était bien jusques là : mais, pressépar la faim,

De l’agneau dévoré je regarde le reste,

J’hésite, je balance… à la fin, cependant,

J’y porte une coupable dent :

Voilà de mes malheurs l’origine funeste.

La brebis vient dans cet instant,

Elle jette des cris de mère…

La tête m’a tourné, j’ai craint que labrebis

Ne m’accusât d’avoir assassiné sonfils ;

Et, pour la forcer à se taire,

Je l’égorge dans ma colère.

Le berger accourait armé de son bâton.

N’espérant plus aucun pardon,

Je me jette sur lui : mais bientôt onm’enchaîne,

Et me voici prêt à subir

De mes crimes la juste peine.

Apprenez tous du moins, en me voyantmourir,

Que la plus légère injustice

Aux forfaits les plus grands peut conduired’abord ;

Et que, dans le chemin du vice,

On est au fond du précipice,

Dès qu’on met un pied sur le bord.

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