14 – L’hermine, le castor et lesanglier
Une hermine, un castor, un jeune sanglier,
Cadets de leur famille, et partant sansfortune,
Dans l’espoir d’en acquérir une
Quittèrent leur forêt, leur étang, leurhallier.
Après un long voyage, après mainteaventure,
Ils arrivent dans un pays
Où s’offrent à leurs yeux ravis
Tous les trésors de la nature,
Des prés, des eaux, des bois, des vergerspleins de fruits.
Nos pèlerins, voyant cette terre chérie,
Éprouvent les mêmes transports
Qu’Énée et ses troyens en découvrant lesbords
Du royaume de Lavinie.
Mais ce riche pays était de toutes parts
Entouré d’un marais de bourbe
Où des serpents et des lézards
Se jouait l’effroyable tourbe.
Il fallait le passer ; et nos troisvoyageurs
S’arrêtent sur le bord, étonnés etrêveurs.
L’hermine la première avance un peu lapatte ;
Elle la retire aussitôt,
En arrière elle fait un saut,
En disant : mes amis, fuyons en grandehâte ;
Ce lieu, tout beau qu’il est, ne peut nousconvenir,
Pour arriver là bas il faudrait sesalir ;
Et moi je suis si délicate,
Qu’une tache me fait mourir.
Ma sœur, dit le castor, un peu depatience ;
On peut, sans se tacher, quelquefoisréussir :
Il faut alors du temps et del’intelligence ;
Nous avons tout cela : pour moi, qui suismaçon,
Je vais en quinze jours vous bâtir un beaupont
Sur lequel nous pourrons, sans craindre lesmorsures
De ces vilains serpents, sans gâter nosfourrures,
Arriver au milieu de ce charmant vallon.
Quinze jours ! Ce terme est bienlong,
Répond le sanglier : moi, j’y serai plusvite ;
Vous allez voir comment. En prononçant cesmots,
Le voilà qui se précipite
Au plus fort du bourbier, s’y plonge jusqu’audos,
À travers les serpents, les lézards, lescrapauds,
Marche, pousse à son but, arrive plein deboue ;
Et là, tandis qu’il se secoue,
Jetant à ses amis un regard dedédain :
Apprenez, leur dit-il, comme on fait sonchemin.